OPTION FACULTATIVE  BAC 2001: BODY AND SOUL

 


QUELQUES ELEMENTS DE COURS AUTOUR DU STANDARD DE JAZZ "BODY AND SOUL"






Louis Armstrong en 1959

 

 

        L'élément fondateur du jazz est la venue d'esclaves noirs sur le continent américain, en provenance d’Afrique. Le jazz est avant tout le résultat de confrontations musicales occidentales et africaines. La musique et la religion seront des instruments essentielles de cette lutte pour le maintien d'une dignité. Parmi les premiers témoignage de cette musique la plupart du temps non écrite, on citera: les work songs, le blues, le ragtime (Scott Joplin), les negro-spirituals.

 

 

Qu'est-ce qui caractérise le jazz ?

 

1- Musique pas écrite

2- Sentiment de swing (syncope, off-beat...) exemple dans The Entertainer (l'Arnaque). Division ternaire du temps.

3- Phénomène du standard: une mélodie à partir de laquelle on conçoit plusieurs versions. Le sacro-saint respect du texte inhérent à la musique classique n'existe  pas en jazz. Deux innovations technologiques majeures auront permis au jazz de s'affirmer: la radio et l' enregistrement. Contemporaines des débuts du jazz, elles auront permit à celui-ci de s'affranchir de la partition comme unique moyen de diffusion. D'où la grande importance faite à l'enregistrement, à la version x de telle date d'un tel, plutôt qu'une partition. La "standard-culture" donne au jazz une importance particulière à la mélodie, au chant. Qu'est-ce qu'un standard sinon une mélodie chantée ?  La performance instrumentale existe, bien sûr, mais les vraies bases du jazz tiennent dans la mélodie chantée.

4- Phénomènes harmoniques: la "blue note": une base harmonique occidentale forte (importance

des degrés VI-II-V-I, gamme majeure, mineure) avec altération descendante de la tierce et de la quinte, affection particulière de l'accord de 7e et 9e, pas de sensible (ou à 1 ton). Jusqu'au free jazz où l'harmonie est inexistante.

5- L'improvisation évidemment, bien que le jazz ne détient pas l'exclusivité de cette pratique. Rappelons que la musique occidentale a toujours affectionné une grande part d'improvisation, surtout à l'époque baroque. Ce n'est que le XIXe siècle qui a figé cette pratique, tellement éloignée de "l’œuvre idéale" statufiée par la notoriété égocentrique des compositeurs romantiques.

 

On retiendra New-York (ville cosmopolite s'il en est) et La Nouvelle Orléans (foyer sudiste à forte communauté noire) comme les deux grands foyers des débuts du jazz.

 

Les années 20 voient la consécration des maîtres "fondateurs" Sydney Bechet (Nlle Orléans), Louis Armstrong (Chicago).

 

Dans les années 30-40, le jazz vit sa période dite "classique": c'est l'époque des grands orchestres de Duke Ellington, Count Basie mais aussi des petites formations de références comme celles de Lionel Hampton (batteur, vibraphoniste), Django Reinhardt (guitariste).

 

Dans les années 50 apparaît ce qu'on appelle le bebop. Ce courant radicalise une manière plus dense, plus ardue de transformer les standards: Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thélonious Monk. Les harmonies deviennent très chargées, les rythmes se compliquent. Dans cette branche on retrouvera sous l'étiquette "hard bop" les Sonny Rollins, Art Blakey, et une autre étiquette plus "cool" avec Chet Baker (trompette) ou Miles Davis (trompette).

 

Les années 60 voient l'apparition du "free jazz" avec Ornette Coleman, John Coltrane. Les années 70 voient la fusion entre le rock et le jazz. Les instruments les plus utilisés sont surtout ceux des harmonies et fanfares: cuivres (trompette, trombone), moins les bois (à l'exception notable de la clarinette et du saxophone)

 
 

Vocabulaire de base

 

Standard: Morceau populaire qui a résisté à l'épreuve du temps. On distingue la plupart du temps les chansons issues des comédies musicales de Broadway (Body and Soul, par exemple) des thèmes composés par les jazzmen ('Round midnight)

Pont: Dans un morceau de type AABA, c'est la partie B, souvent modulante.

Chorus: C'est le refrain qui sert généralement de base à l'improvisation, c'est la partie principale d'une chanson.

Grille: c'est la suite d'accords sur laquelle est construit un morceau.

 

 

 

BODY AND SOUL

  

Origine:

Musique composée par John Green, paroles de Edouard Heymann, Robert Sour et Franck Eyton. Le premier enregistrement date du 7 février 1930 par l'orchestre de Jack Hylton à Londres (cf K7). Mélodie ultra connue et enregistrée des centaines de fois sous d'autant de versions.

 

Forme:

AABA avec 8 mesures à chaque fois réparties également en 2*4.

 

Harmonie:

La plupart des versions sont en réb majeur, avec un pont modulant 1/2 ton au dessus soit en ré majeur. Surprise du début, on croit qu'on est en mib mineur, on doit attendre un peu pour avoir la vraie tonalité de réb majeur. La modulation du pont n'est pas préparée, elle est brutale. Même fausse impression de tonalité mineure au milieu de B qui n'est que le 2e degré d'une tonalité majeure. Le retour à la tonalité de départ, lui, est préparé.

 

Mélodie:
La partie A est constituée de 4 phrases d'une mesure de 4 temps chacune. La partie B est constituée de 2 phrases: une entièrement en ré Maj, l'autre en do maj avec réintroduction de réb maj à la fin (chromatisme)

 

Rythme:

les versions successives ont confirmé Body and Soul comme un morceau lent. Les premières versions laissent transparaître un swing atténué (peu de syncopes) qui deviendra de plus en plus ternaire au fil du temps.

 

Quoi qu'il en soit, ce thème contient les bons ingrédients de base (modulations intéressantes et mélodie simple facilement reconnaissable) pour devenir un standard aux centaines de versions. Il est très bien choisi pour cette raison.

 

 

 

Version Thélonious Monk (1917-1982)  du 1er Novembre 1962   Piano seul


Très grande référence du piano jazz, grand compositeur également.


Petite intro - AABA - AABA -AB    Réb majeur


Bien que faisant partie de la partie du BeBop, le style de Monk est tellement original, qu'il est difficile de le rattacher à une école.


 

* Rythme: la main gauche est régulière et garde un style en pompe (une note grave, un accord) comme aux premiers temps du Ragtime (S.Joplin)

* Harmonie: c'est là la caractéristique la plus intéressante. Alors que la main gauche respecte à peu près la grille, la main droite s'en écarte  

   continuellement en prenant plaisir à faire des frottements (des notes espacées de 1/2 tons)

* Mélodie: la frontière entre thème et solo est difficile à établir, on ne sait jamais trop s'il improvise ou s'il joue le thème.

 

  

 

 


 

 

 

Version Sarah Vaughan (née en 1924) de 1978    et Ray Braown, contrebasse

Sol majeur - BA - interlude - AABA

 

On remarquera que cette version commence par le pont (B), ce qui inhabituel.

 

* Harmonie: En l'absence de piano ou de guitare, la contrebasse doit assumer toute la partie harmonique de cette version, ce qui l'oblige à avoir une ligne plus mouvante qu'habituellement: elle se doit de faire entendre parfois toutes les notes de l'accord.

* Mélodie: Vocalement, on est entre le scat (technique qui consiste à improviser vocalement sans paroles) et l'expression du thème lui-même, ce qui nous rapproche du la version de Monk.

* Rythme: s'il y a un élément qui est rarement contesté dans le jazz, c'est la régularité ryrthmique. Ici, pourtant, le tempo est fluctuant et irrégulier, on ne peut plus repérer la structure en comptant les temps uniquement. Ceci est permis par le faible effectif instrumental.

 

 



 

Version  de Louis Armstrong (1900-1971) du 14 Août 1957

 

A comparer avec son autre version de 1930.

Réb majeur

 

Introduction

AABA (trompette et orchestre)

AA(chant + section rythmique) B(chant + cordes) A (chant + section rythmique)

BA (chant + cordes

Coda.

 

    On remarquera surtout l'arrangement pour cordes, en plus de la section jazz normale, qui donne au standard un lyrisme racoleur proche de la chanson de variété. La tristesse inhérente au texte disparait dans une atmosphère séduisante. A noter l'alternance des cordes et de la section rythmique

 










 

 

Version de Benny Carter (né en 1907)  du 15 Novembre 1961

Saxophoniste, clarinettiste, trompettiste et chef d'orchestre américain

 

Quatuor de saxophones: B.Carter et Phil Woods (saxo alto), Coleman Hawkins et Charlie Rouse (saxo tenor) plus orchestre

A (quatuor de saxos) A (saxo alto P.Woods) B (saxo ténor C.Rouse) A (saxo alto B.Carter)

AABA  saxo alto (Coleman Hawkins) avec une cadence ad libitum sur le dernier A

 

Le thème n'est donné que dans le premier A. Cette version est réellement dédiée à Coleman Hawkins (on lui laisse toute la deuxième grille), en référence à sa version de 1939.

 

Malgré la date tardive de l'enregistrement, cette version plutôt classique (dans l'harmonie) s'apparente au style pré beBop ou classique des années 30 et 40.

 

 

 

Paroles de Robert Sour, Edward Heyman, Franck Eyton

Musique de John Waldo Green

 

My heart is sad and lonely

For you I sigh, for you dear only

Why haven’t you seen it ?

I’m all for you body and soul

 

I spend my days in longing

And wondering why it’s me that you’re wronging

I tell you I mean it

I’m all for you body and soul

 

I can’t believe it, it’s hard to conceive it

That you’d turn away romance

Are you pretending ?

It looks like the ending unless I have one more chance to prove, dear

My life a wreck you’re making.

You know I’m yours for just the taking,

I’d glady surrender myself to you

Body and soul

 

 

Mon cœur est triste et solitaire, pour toi seul je soupire, pour toi seule, chérie

Pourquoi tu l’as pas vu ? Je suis tout à toi corps et âme.

 

Je passe mes jours à désespérer de toi à et à me demander pourquoi c’est à moi que tu fais du tort.

C’est vrai, quoi, je suis tout à toi, corps et âme.

 

Je ne peux le croire, c’est dur à concevoir que tu puisses laisser tomber quelqu’un. Fais-tu semblant ?

Cela ressemble à la fin, à moins que j’aie  encore une autre chance, chérie. Tu fais de ma vie une épave.

 Tu sais que je suis à toi tout simplement, je voudrais simplement me rendre à toi, corps et âme

 

Traduction: Gilles Vacchia (dans Analyse Musicale n°36, Septembre 2000, Adam, p.60)

 

 

Source principale:
Article de Laurent Cugny paru dans l'Éducation Musicale (Bac 2001, supplément au n°473-474 de septembre/octobre 2000, pages 34 à 44)