OPTION FACULTATIVE  BAC 2003 et 2004: 
LES NUITS D'ÉTÉ DE BERLIOZ

 


 

 

 

Hector BERLIOZ (1803-1869)
 
 
Les Nuits d’été  1838-1841
Pour voix et orchestre, sur des poèmes de Théophile Gautier (1811-1872)
 

 

 

 

 

 

 

 


 



 

GENERALITES SUR LE XIXe SIÈCLE EN MUSIQUE

  

* Le XIXe est le siècle de la musique romantique. Celle-ci est caractérisée par la volonté pour chaque compositeur d’exprimer ses sentiments personnels (tristesse, amour, joie...) à travers son œuvre.

  

* A partir du début du XIXe siècle, la statut social du compositeur change: il ne s’agit plus de faire de la musique de divertissement (si bonne soit-elle), mais de correspondre à l’idéal personnel que les compositeurs se donnent. Chaque artiste exprime sa propre vision du monde, par le prisme égocentrique de sa propre et unique personnalité. Il s’agit aussi de réhabiliter la sensibilité contre le formalisme de l’époque classique. 

 
* La génération des premiers romantiques est composée de Beethoven (allemand 1770-1827), Schubert (autrichien 1797-1828), Schumann (allemand  1810-1856), Berlioz (français 1803-1869)Chopin (polonais 1810-1849), Franz Liszt (hongrois 1811-1886), Verdi (1813-1901)

  

* La musique de la première moitié du XIXe siècle tend à développer la virtuosité et le volume sonore:

 

  

Virtuosité:        La démonstration d’habilités techniques impressionnantes devient un critère esthétique en soi. (exemple: Etudes pour piano de Frédéric Chopin (1810-1849), ou Caprices pour violon de Nicolo Paganini 1782-1840)

 

Volume sonore: Le nombre des instruments des orchestres augmente (environ 25 chez Mozart (fin XVIIIe), 40 chez Beethoven (début XIXe), environ 200 chez Berlioz (Symphonie fantastique, 1830) et jusqu’à 1000 chez Gustav Mahler (1860-1910). Par ailleurs les registres des instruments augmentent (le clavier du piano s’agrandit vers le grave et l’aigu), les trompettes ont désormais des pistons pour pouvoir faire plus de notes, par exemple. Toute l’expression musicale se dirige vers un «toujours plus» caractéristique:  plus fort, plus grand, plus puissant, plus excessif, plus nombreux. On a le goût des contrastes et oppositions violentes (Beethoven). Malgré tout l’effectif orchestral des Nuits d’été reste dans des proportions raisonnables.

 

  

 

LES NUITS D’ÉTÉ
 

Les chiffres romains se reportent aux numéros des pièces (I=Villanelle, II=Le spectre de la rose, etc…)

 

 

* En matière de musique chantée, on connaît au début du XIXe le genre du lied  (plus de 600 lieder de Schubert, le cycle L’amour et la vie d’une femme de Schumann par exemple), mais il s’agit pour le plus souvent de chant accompagné de piano. En matière de chant et orchestre, on ne connaît pas grand chose à part l’opéra bien sur (Nabucco de Verdi par exemple). Les nuits d’été de Berlioz qui sont six poèmes chantés avec orchestre apparaissent comme un genre nouveau:  celui de la mélodie et orchestre, repris plus tard notamment par Gustav Mahler (Le chant de la terre, 1908)

 

* Berlioz a fait une sélection de 6 poèmes de Théophile Gautier à partir du recueil Poésies diverses de 1838. C’est lui qui a ensuite donné un nom à ces 6 poésies mises en musique : les Nuits d’été. Il les a composées entre 1838 et 1841 dans une première version pour voix et piano puis composa la partie orchestrale à partir de 1856.

 

* Berlioz laisse une liberté quant au choix de la tessiture, ténor ou mezzo-soprano. La partition indique la partie de piano et une autre voix qui n’est pas toujours dans la même tonalité que l’orchestre, selon la tessiture de la voix alternative (II, III, V). Il faut par ailleurs dissocier la tessiture des différents narrateurs des poèmes. Dans la version enregistrée, une femme chante alors que les textes sont normalement dits par un homme pour les poèmes I , III,et IV. C’est un argument de plus (s’il en fallait) que cette musique n’est pas du tout de l’opéra: le chanteur ou la chanteuse en tant que personne sont complètement indépendantes du texte.

 

* Comme toujours dans toute musique pour chant et orchestre (ou piano), l’intérêt sera de dégager dans chaque pièce les rapports de dépendance ou d’indépendance de la musique et du texte, et les rapports complexes que ceux-ci peuvent entretenir sur le plan symbolique. Le premier et le dernier poème sont joyeux et porteurs d’espoir alors que ceux qu’ils encadrent sont chargés de sentiments lourds, pesants et tournés vers la mort, l’abandon et la solitude.

 

Cette musique est tellement portée à exprimer le texte qu’on pourrait la qualifier de musique littéraire, tant l’existence de celle-ci est liée aux sentiments du poème. Les thèmes romantiques les plus caractéristiques sont ici exploités: l’amour, le parfum, le souvenir, la frustration, l’attente, la solitude, la mort, la peur, la nuit, le fantastique, le voyage, l’exotisme.

 

* L’orchestre est un orchestre symphonique tout à fait usuel pour l’époque; en plus des cordes, on à 2 flûtes, un hautbois (oboe), 2 clarinettes, 3 cors, une harpe et 2 bassons si l’on considère toutes les pièces, mais les instruments utilisés ne sont pas toujours les mêmes d’une pièce à l’autre (ainsi la harpe n’est par exemple utilisée qu’une seule fois dans Le spectre de la rose). Comme dit plus haut, l’effectif orchestral des Nuits d’été reste plutôt modeste

 

 

Les vers mis entre parenthèses correspondent aux répétitions dues à la musique

Les chiffres indiqués entre parenthèses correspondent aux numéros de mesure

 

 

1 - VILLANELLE

 

D’après le dictionnaire, la villanelle est une chanson, poésie pastorale, danse qu’elle accompagnait à l’origine (1586). Par extension: Poème à forme fixe (fin 16e) à couplets de 3 vers et à refrains, terminé par un quatrain

 

Quand viendra la saison nouvelle,

Quand auront disparu les froids,

Tous les deux nous irons, ma belle,

Pour cueillir le muguet aux bois;

Sous nos pieds égrenant les perles

Que l'on voit au matin trembler,

Nous irons écouter les merles

(Nous irons écouter les merles)

 

Siffler

 

Le printemps est venu, ma belle,

C'est le mois des amants béni;

Et l'oiseau, satinant son aile,

Dit des vers au rebord du nid;

Oh! viens donc sur ce banc de mousse

Pour parler de nos beaux amours,

Et dis-moi de ta voix si douce

(Et dis-moi de ta voix si douce)

 

Toujours!

 

Loin, bien loin égarant nos courses,

Faisons fuir le lapin caché

Et le daim au miroir des sources

Admirant son grand bois penché;

Puis chez nous, tout heureux, tout aisés,

En paniers enlaçant nos doigts,

Revenons, rapportant des fraises

(Revenons, rapportant des fraises)

 

Des-bois


 

 

Sujet Ce texte «chante les émois d’un jeune homme amoureux rêvant de fuir au cœur des bois en compagnie

              de sa bien aimée» Education musicale, p.11

 

Structure: La forme strophique en trois parties du poème est respectée, un vers est répété en fin de strophe. Chaque strophe est chantée sur les mêmes mélodies à chaque fois.

 

Particularités:

* Il n’y a pas de progression dramatique dans ce poème, il est simplement descriptif et linéaire

* La musique n’a pas d’indépendance marquée vis à vis de la voix, il n’y a pas de partie purement instrumentale, il n’y a pas de thème réservé à l’orchestre. Elle se cantonne à un pur accompagnement au rythme rapide et régulier rappelant l’écriture classique viennoise de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe (voir le 1er mouvement de la 3e symphonie de Beethoven, 1804)

* Si chaque couplet est chanté sur les mêmes lignes vocales, quelques subtils changements dans l’orchestre se font sentir de l’un à l’autre: au tout début par exemple (3 et suivantes), la voix et les cordes sont seules, alors qu’au couplet suivant  (43 et suivantes), les cordes graves (altos et violoncelles) reprennent le motif du chant en imitation (pareil à 87 avec la clarinette en plus). Autre exemple, à la fin de chaque strophe, un motif au basson est différent les trois fois (37, 77, 121)

* La tonalité générale de la majeur est sans cesse malmenée par des modulations surprises à des tons éloignés (sib M (10), do# m (20) par exemple)

 

 

2 - LE SPECTRE DE LA ROSE

 

 

 Soulève ta paupière close

 Qu'effleure un songe virginal !

 Je suis le spectre d'une rose,

 Que tu portais hier au bal.

 Tu me pris encore emperlée

 Des pleurs d'argent de l'arrosoir,

 Et, parmi la fête étoilée,

 Tu me promenas tout le soir.

  

 

O toi, qui de ma mort fus cause,

Sans que tu puisses le chasser,

Toutes les nuits mon spectre rose

A ton chevet viendra danser;

Mais ne crains rien, je ne réclame

Ni messe ni De Profundis.

Ce léger parfum est mon âme,

(Ce léger parfum est mon âme)

Et j'arrive, j'arrive du paradis

(J'arrive, j'arrive du paradis)

Mon destin fut digne d'envie,

Et pour avoir un sort si beau

Plus d'un aurait donné sa vie;

Car sur ton sein j'ai mon tombeau,

Et sur l'albâtre où je repose

Un poète avec un baiser

Ecrivit: "Ci gît une rose,

Que tous les rois vont jalouser."


 

 

Sujet Une rose réapparaît sous forme de spectre en avouant sur le ton de la confession son amour au personnage qui la portait à un bal. Les thèmes du parfum, de la mort, de l’amour et du souvenir sont les vecteurs principaux de ce poème dépourvu de progression dramatique. Voir aussi La morte amoureuse, nouvelle de T.Gautier sur les mêmes thèmes.

 

 Structure Bien que la structure soit strophique, il semble à l’écoute qu’il s’agisse d’une récitation continue sans répétition. La musique est très proche du texte, ne contient pas d’éléments qui lui sont propres (ni partie purement instrumentale importante, ni thèmes que n’aurait pas la voix), elle est réellement au service du texte.

 

 Particularités:

* Il n’y a aucune unité dans l’accompagnement orchestral, dans la mesure où chaque strophe, voire chaque vers est accompagné de manière différente, en fonction de ce qu’il (elle) exprime.

* La harpe n’apparaît - dans toutes les Nuits d’été - que dans cette pièce. La tonalité de l’enregistrement est ré majeur (lire la voix en bas de la partition)

* Une petite introduction propose le thème de la voix à venir (aux flûtes et clarinettes), thème qui sera utilisé pour chaque début de strophe

* Un motif rapide est ébauché aux violons I et II (mes 3-4) entrecoupé d’arrêts mais lorsque la voix entre, il devient continu et donne au caractère général une fluidité mouvementée vraisemblablement liée à la passion amoureuse sous jacente de cette rose sous couvert de récitation lente et calme.

* A chaque progression dans le texte correspond une agitation musicale supplémentaire: sur «Et parmi la fête étoilée »  (1’47 mes 22), toutes les cordes font des notes plus rapides, et la partie vocale correspondant à l’évocation de la relation «physique» des deux êtres puisque «tu me promena

* Au début de la 2e strophe (2’27), le caractère devient un peu plus mouvementé grâce à une nouvelle orchestration: cordes en pizzicato sur des notes répétées, aboutissant à la déclaration principale de la rose «Toutes les nuits mon spectre rose viendra danser»  (2’45 mes 34)

* Descente chromatique de la voix ainsi que de tous les instruments de l’orchestre sur «Mais ne crains rien, je ne réclame ni messe ni De profundis », accentuant le ton suppliant de la rose.

* Grand cresendo sur « Mon parfum est mon âme». Le lyrisme emporté donne de l’importance à ce vers-clef.

* Reprise du thème initial à l’entrée de la 3e strophe (3’54 mes 50).

* Sur  «Et sur l’albâtre...» (4’34  mes 58) rythme haletant des cordes et orchestration très dénudée et mode mineur (si mineur) mettant en valeur la voix (et par là la rose toujours suppliante)

* Enfin la dernière phrase «Ci gît une rose que les rois vont jalouser» (4’59  mes 62), est chantée presque en récitatif (sur le rythme de la parole), très lentement, uniquement accompagnée d’une seule clarinette.

 

 

3 - SUR LES LAGUNES     (à l’origine «Chanson du pêcheur»  chez T .Gautier)

 

Ma belle amie est morte.

je pleurerai toujours;

Sous la tombe elle emporte

Mon âme et mes amours.

 

Dans le ciel, sans m'attendre

Elle s'en retourna;

L'ange qui l'emmena

Ne voulut pas me prendre.

 

Que mon sort est amer!

Ah! sans amour s'en aller sur la mer !

 

    

La blanche créature

Est couchée au cercueil;

Comme dans la nature

Tout me parait en deuil!

 

La colombe oubliée

Pleure, (pleure) et songe à l'absent;

Mon âme pleure et sent

Qu'elle est dépareillée.

 

Que mon sort est amer!

Ah! sans amour s'en aller sur la mer !

 

  

Sur moi la nuit immense

S'étend comme un linceul,

Je chante ma romance

Que le ciel entend seul.

 

Ah! comme elle était belle,

Et comme je l'aimais!

je n'aimerai jamais

Une femme autant qu'elle.

 

Que mon sort est amer !

(Que mon sort est amer !)

Ah! sans amour s'en aller sur la mer !

(S'en aller sur la mer!  Ah ! Ah !)

 


 

Sujet Un personnage pleure la disparition de sa bien aimée. Les thèmes évoqués sont la solitude, la nuit, l’amour. Le texte décrit plus un état psychologique qu’une progression dramatique.

 

Structure: 3 grandes parties correspondant à 3 fois 2 strophes, ponctuées par le même motif  (1’20 mes 30) sur le refrain «Ah !  sans amour s’en aller sur la mer». Mais à part le vers du refrain rien ne justifie ces trois parties puisqu’il n’y a pas de progression dramatique.

 

 Particularités:

 

* Sans jamais perdre de vue que dans les Nuits d’été que c’est la musique qui est au service du texte, les sentiments lourds de mort, d’amour, de solitude ou encore d’abandon sont exprimés ici par une musique lente et sombre. La résignation du personnage principal est particulièrement bien mise en valeur par ce chant au caractère de Lamento (genre de l’histoire de la musique caractérisé par la plainte d’un personnage).

 

* Chaque refrain est donc marqué par la même note longue précédée d’une cadence plagale (repos sur le IVe degré, ici do mineur puisque la tonalité générale est sol mineur) sur l’accord de «Que mon sort est amer» (1’20 mes 30 / 2’54  mes 70 / 4’23 mes 102)

 
* La première partie installe grâce au mode mineur (sol mineur) et au tempo très lent une atmosphère propice à la désolation du personnage principal. La lenteur du tempo se marie bien avec l’atmosphère vespérale: quel moment plus calme et éloigné des agitations diurnes que la nuit, où tout est au repos. Moment privilégié des romantiques, la nuit et la solitude permettent de se retrouver avec soi-même, de se confesser des pleurs et chagrins loin du monde.
 

 * Si la première partie est très lente, la partie centrale est un peu plus animée, sans doute parce qu’elle évoque directement l’être aimé: «La blanche créature est couchée...». Cette animation est marquée à l’orchestre par une pulsation plus vivante (croches régulières et rapides à partir de 1’31 mes 34. Cette animation s’accentue progressivement (motif rapide en doubles croches à 2’16 mes 54 sur «La colombe oubliée...») pour arriver à son paroxysme à 2’30 mes 61 sur «Mon âme pleure et sent qu’elle est dépareillée»; c’est sans doute l’endroit le plus déchirant de toute la pièce, en tous cas celui qui rompt le plus avec le caractère immobile et désespéré du début. C’est la passion qui s’oppose à la mort. Ce paroxysme se traduit en musique par un caractère appassionato (mes 61) et des motifs rapides aux vents  (flûtes et bassons mes 61)

 
* Cette deuxième partie voit son élan passionné coupé net par le motif-rappel de chaque fin de strophe, à 2’43 mes  67 à l’unisson (tous les instruments font la même note) donnant un effet froid et glacial. Symboliquement, cela veut dire que rien n’y fait, le personnage principal a beau crier tout son désespoir, sa «belle amie» est bel et bien morte et rien ne la ressuscitera.

 

* La troisième partie repart sur un ton désespéré, puis c’est à nouveau le cri déchirant mais qui a sa part d’optimisme «Je n’aimerai jamais une femme autant qu’elle», dont la résolution se fait sur un accord de sol majeur (4’02 mes 97). Mais encore une fois cet élan sera rapidement abrégé et enchaîné au thème refrain en sol mineur, (car retour rapide du si bécarre de l’orchestre (la bécarre en fait dans la transposition mes 97) au sib au chant sur «Que mon sort est amer». Le mode mineur est bien sûr utilisé

 

* La coda (fin du morceau) prolonge le motif refrain de chaque partie à partir de 4’35 mes 106. Berlioz (et Gautier) savent mettre en valeur le dernier instant car c’est souvent sur celui-ci que reste l’impression de l’auditeur. Ce dernier moment nous concède que les mots ne sont pas suffisants pour exprimer la douleur, car c’est un cri: «Ah !», sur un accompagnement orchestral des plus dénudés: quelques murmures des cordes. L’accord final est celui de la dominante (donc majeur): faut-il y voir un événement attendu après ou est-ce vraiment la fin ?

 


4 - ABSENCE

 

Reviens, reviens, ma bien-aimée!

Comme une fleur loin du soleil,

La fleur de ma vie est fermée

Loin de ton sourire vermeil

  

Entre nos cœurs quelle distance !

Tant d'espace entre nos baisers !

O sort amer  !  0 dure absence

O grands désirs inapaisés !

 

Reviens, reviens, ma bien-aimée !

(Comme une fleur loin du soleil)

(La fleur de ma vie est fermée)

(Loin de ton sourire vermeil)

 

D'ici là-bas que de campagnes,

Que de villes et de hameaux,

Que de vallons et de montagnes,

A lasser le pied des chevaux!

 

Reviens, reviens, ma bien-aimée !

(Comme une fleur loin du soleil)

(La fleur de ma vie est fermée)

(Loin de ton sourire vermeil)

 
 

Sujet Un amoureux se lamente de l’éloignement de sa bien aimée. Amour, frustration, attente, voyage sont les thèmes principaux.

 

Structure: Une strophe-refrain entendue trois fois entre lesquelles se placent deux couplets.

 

Particularités:

* Une pièce caractérisée par sa brièveté, et un dénuement orchestral au service d’un poème simple et court. C’est sans doute la pièce la moins démonstrative de tout le cycle

* Ce n’est plus la même douleur que la pièce précédente. Moins tragique, la douleur (ici) due à l’éloignement est  également chargée d’espérance.  D’où sans doute cet éclairage de la lumineuse tonalité de fa# majeur.

 
* Les refrains du texte ont tous la même partie musicale caractérisée par de longs silences sur «Reviens reviens, ma bien aimée». Ces silences peuvent évoquer le questionnement du narrateur quant à la raison de l’absence de sa promise, mais certainement comme des illustrations sonores de l’attente douloureuse du narrateur.

 

* Passés les silences du début de la strophe-refrain, la suite sur  «Comme une fleur loin du soleil» est extrêmement lente presque comme un récitatif. L’orchestre n’intervient que pour souligner la mélodie principale (les violons I) ou pour soutenir le chant de quelques notes longues.

 

* Le début de la première strophe-couplet est aussi très dénudé du point de vue de l’accompagnement, mais la suite s’anime enfin: croches répétées des cordes, crescendo de la voix «O dure absence» (1’06  mes 20). Mais le personnage retombe vite dans la plainte et l’esseulement accompagné du silence (1’22 à 1’28). Ce schéma sera le même à la strophe suivante: animation sur «A lasser le pied des chevaux» (2’41  mes 49)

 

 

 

5 - AU CIMETIÈRE    (Clair de lune)

 

1 - Connaissez-vous la blanche tombe,

Où flotte avec un son plaintif

L'ombre d'un if?

Sur l'if une pale colombe

Triste et seule au soleil couchant,

Chante son chant:

  

2 - Un air maladivement tendre

A la fois charmant et fatal

Qui vous fait mal

Et qu'on voudrait toujours entendre

Un air comme en soupire aux cieux

L'ange amoureux

  

3 - On dirait que l'âme éveillée

Pleure sous terre à l'unisson

De la chanson

Et du malheur d'être oubliée

Se plaint dans un roucoulement

Bien-doucement.

 

4 - Sur les ailes de la musique

On sent lentement revenir

Un souvenir.

Une ombre, une forme angélique,

Passe dans un rayon tremblant

(Passe dans un rayon tremblant)

En voile blanc

5 -  Les belles de nuit demi-closes

Jettent leur parfum faible et doux

Autour de vous,

Et le fantôme aux molles poses

Murmure en vous tendant les bras:

Tu reviendras !

  

6 - Oh! jamais plus, près de la tombe,

je n'irai, quand descend le soir

Au manteau noir,

Ecouter la pale colombe

Chanter sur la pointe de l'if

Son chant plaintif.


 

 

Sujet Attiré par le chant d’une colombe «Qui vous fait mal» mais «Qu’on voudrait toujours entendre», le narrateur observe avec effroi le retour des âmes et des spectres d’outre-tombe. Après la vision effrayante de «l’ombre au voile blanc» et du fantôme «aux molles poses», il se jure de ne jamais revenir ni être à nouveau attiré par le chant de la colombe.  Les thèmes de la mort, du fantastique, de la peur. Le thème du cimetière était déjà évoqué dans III (Sur les lagunes). Le sous-titre Clair de lune est une marque évidente du premier romantisme: les images du clair-obscur et de la nuit fascinent les auteurs et compositeurs tout au long du XIXe (Sonate dite «au clair de lune » de Beethoven (même si cette appellation n’est pas de lui, il n’aurait rien trouvé à y redire), mélodie «Clair de lune» de Fauré). Au cimetière est une des pièces des plus riches et des plus significatives de tout le cycle.

 

Structure C’est le premier poème du cycle qui possède une progression dramatique. Il y a un début (attirance par le chant de la colombe), un milieu (apparition de la «forme angélique» et du fantôme) et une fin (la fuite et l’envie de ne plus revenir à cet endroit). Comme toujours la musique suit admirablement cette progression dramatique. S’il est vrai que l’on retrouve le thème du début (de la voix) à 0’02  mes 2 sur «Connaissez-vous… » plus loin à 2’51 mes 99 sur «Les belles de nuit… » on pourrait être tenté de parler d’une forme ABA, mais pour la musique uniquement.


 

Particularités:

 

* L’effectif orchestral est plutôt réduit : flûtes - clarinettes et cordes

* Les deux premières strophes, qui posent le décor, sont marquées musicalement par un rythme régulier à trois temps.

 * La tonalité générale est ré majeur mais celle-ci est enrichie de modulations surprenantes ayant pour effet de saisir la lumière surnaturelle liée à la nature fantastique de la scène: par exemple (de 0’17 à 0’24)  sib majeur mes 11 sur -tif de «plaintif» (très éloigné de ré majeur), puis sur «if » dans «l’ombre d’un if», fa# majeur surprenant puis retour à ré majaur sur la phrase suivante. Ré majeur, si bémol majeur et fa# majeur sont toutes trois distantes d’une tierce majeure, en fait le procédé de modulation à la tierce majeure inférieure est typique de l’époque (voir aussi dans les sonates de Schubert). Ce style de modulation procède par note commune - fa# - la puis sib - - fa  (le ré est commun aux deux accords), puis fa# - la# - do#  (le la# (ou sib) est commun aux deux accords)

 
* Petite allusions des flûtes à l’évocation du chant de la colombe ( 0’42 à 0’46 mes 25-26)

 

* Intervalle dissonant (à l’oreille) de quinte diminuée pour illustrer la douleur de «Qui vous fait mal» à 1’01 mes 36-37

 

* Joli éclairage harmonique  sur «l’Ange amoureux»  1’23 mesure 49. En effet cette phrase se termine sur l’accord de ré majeur juste après un sombre accord de 7e diminuée (mes 47) sur «L’ange». Evidemment cet éclairage est justifié par le sentiment positif du texte.

 

* C’est au 3e couplet que l’action démarre véritablement, à mesure que les esprits d’outre-tombe se manifestent. Le rythme s’accélère: on passe de noires régulières à des croches aux violoncelles (1’26 mes 51) sur la même note répétée. La voix chante recto tono, c’est à dire toujours la même note sur «On dirait que l’âme éveillée…», les vents ponctuent de demi-tons plaintifs et douloureux: le suspense s’installe. Le recto tono sied à des personnages lugubres et surnaturels, comme la statue dans la scène finale de Don Giovanni de Mozart)

 

* L’orchestre s’anime peu à peu: à  «Sur les ailes de la musique» (1’54  mes 68), on observe des motifs d’accompagnement en double croches, et la phrase de la voix monte vers l’aigu jusqu’à «souvenir» (2’06 mes 76), le tout pour accompagner ce «souvenir qui revient». Belle cadence sur l’accord de la majeur.

 

* Mais lorsque «l’ombre angélique passe dans un rayon tremblant», le climat se refroidit: descente chromatique sur «ombre» (2’14 mes 80) et devient carrément glacial et surnaturel sur le 2e «passe dans un rayon tremblant» ( 2’25 à 2’49 mes 87 à 98). Berlioz traduit ce climat par lugubre par l’utilisation d’harmoniques tenues aux cordes. Ces sonorités suraiguës installent un climat de malaise tout à fait propice à la situation; à noter aussi le retour du demi ton plaintif de la voix et des clarinettes (fa# sol) quasi recto tono, et le tremolos des violoncelles. On rapprochera bien entendu cette scène de la Marche au supplice ou du Songe d’une nuit de sabbat de la Symphonie fantastique (de Berlioz) composée quelques années plus tôt (1830), dans lequel les climats diaboliques d’épouvante, d’ensorcellement et de retour des morts sont également traduits en musique par des effets surprenants.

 

* Après un point d’orgue interrogatif et songeur (le temps que passe «l’ombre en voile blanc»)  à 2’49 mes 98, c’est le retour du thème initial de la voix qu’on avait eu au tout début. L’orchestration a changé: les noires régulières du début ont fait place à un rythme plus lent en hémiole aux vents, c’est à dire qu’ils font des notes qui durent deux temps dans une mesure à 3 temps, d’où une impression de rythme bancal.

 

* Mais c’est sans compter l’apparition du «fantôme aux molles poses [qui] murmure en tendant les bras: tu reviendras». On retrouve le balancement ternaire du début

 

* Pour jurer de ne plus aller réécouter le «chant plaintif » de la colombe, Berlioz utilise pour la voix une tournure au chromatisme retourné (mib - ré - do# - ré)  ( 4’15 à 4’23 mes 146 à 151).

 

 * Malgré l’accord majeur et doux de la fin (ré majeur), les deux clarinettes font entendre le demi ton plaintif de la partie centrale en clin d’œil à «l’ombre angélique [qui]  passe dans un rayon tremblant». Celle-ci est évoquée jusqu’à la toute fin.

 

 

 

6 - L’ÎLE INCONNUE

 

 

Dites, la jeune belle,

Où voulez-vous aller?

La voile enfle son aile

La brise va souffler.

(La voile enfle son aile)

(La brise va souffler)

 

L'aviron est d'ivoire,

Le pavillon de moire,

Le gouvernail d'or fin;

J'ai pour lest une orange,

Pour voile une aile d'ange,

Pour mousse un séraphin.

(J'ai pour lest une orange)

(Pour voile une aile d'ange)

(Pour mousse un séraphin)

Dites, la jeune belle,

Où voulez-vous aller?

La voile enfle son aile,

La brise va souffler.

(La voile enfle son aile)

(La brise va souffler)

 

Est-ce dans la Baltique?

Dans la mer Pacifique?

Dans l'île de java?

Ou bien est-ce Norvège,

Cueillir la fleur de neige,

Ou la fleur d'Angsoka?

  

 

Dites, dites, la jeune belle,

Dites, où voulez-vous aller?

 

Menez-moi, dit la belle,

A la rive fidèle

Où l'on aime toujours !

Cette rive, ma chère,

On ne la connaît guère,

(Cette rive, ma chère)

(On ne la connaît guère)

Au pays des amours.

(On ne la connaît guère)

(On ne la connaît guère)

(Au pays des amours)

 

Où voulez-vous aller?

La-brise-va-souffler


 

 

Sujet :  Sous la forme d’une question à une «jeune belle» à qui on demande où voudrait-elle aller, se profilent les thèmes typiquement romantiques de l’exotisme, du voyage, de l’aventure, de la jeunesse et de l’amour.

  

Structure: Une partie refrain parcourt la pièce «Dites, la jeune belle» jusqu’à «souffler». Mais elle n’est pas toujours intégralement citée, et la musique qui s’y rapporte n’est pas toujours tout à fait la même. Mais globalement, il s’agit d’une structure couplet - refrain.

 

 Particularités:

 
* Cette dernière pièce clôt le cycle sur un ton  résolument emporté et ouvert sur le lointain, l’aventure. Son caractère s’oppose complètement aux pièces précédentes.


* L’effectif orchestral est important avec pour la première fois dans le cycle 3 cors

 

* Alors que le statisme caractérise les pièces exprimant la désolation, l’abandon et la mort (II à V), c’est au contraire ici le mouvement qui est mis en valeur: c’est un mouvement rapide qui s’attache à décrire le tournoiement des vagues et de la mer (bien avant La Mer de Debussy (1901), et évoquant certaines toiles du peintre anglais Turner). En cela le balancement de la mesure ternaire à 6/8 est déterminant.

* La tonalité est fa majeur, mais la pièce s’ouvre sur un accord de do majeur (donc de dominante) conférant aux 4 premières mesures un rôle d’introduction avant le chant.

 * Inflexion mineure sur «la voile enfle son aile, la brise va souffler», c’est à dire que Berlioz utilise le IVe degré minorisé de fa majeur (sib - réb - fa). Le mode mineur n’est pas utilisé ici à des fins de tristesse ou mélancolie, mais donne une tournure plus lyrique et passionnée à ce passage tout à fait en rapport avec la force du vent évoquée.

 

* C’est en fa mineur que se poursuit la pièce dans le premier couplet. Même idée d’utilisation du mode mineur qui exprime la passion mais pas la tristesse. Idem pour le second couplet avec des modulations à des tons lointains.

 
* Aucun motif ou thème particulier ne se dégage de l’orchestre (sauf à l’introduction): le rôle des instruments est uniquement accompagnateur de la voix

* Chaque refrain voit sa partie musicale légèrement transformée, bien qu’on retrouve le thème principal quand même à chaque fois (0’05 mes 5, 1’03 mes 46, 1’50 mes 76 )

* Enfin la «jeune belle» finit par répondre sur un thème totalement nouveau  ( 2’02 mes 84). Visiblement peu intéressée par les rivages exotiques, elle préfère «la rive fidèle où l’on aime toujours», mais on lui répond que «cette rive (...) on ne la connaît guère au pays des amours»: le balancement ternaire est maintenu jusqu’au bout, mais devient quelque peu dédramatisé par le ton léger de la fin, le tout se termine dans un murmure bien apaisé.


 

 

Sources complémentaires:

 

"Autour des nuits d'été" de Hector Berlioz.  Cd-rom de Jean-Luc Idray, éditions Hyptique, 2003

 Article de Cécile Rose et Gérard Denizeau, L'Education Musicale septembre/Octobre 2003, supplément au n°505/506, Bac 2004