OPTION DE SPÉCIALITÉ BAC 2005 et 2006 Chaconne pour piano de Ferrucio Busoni
(1866-1924) d’après |
A) FERRUCIO BENVENUTO
BUSONI (1866-1924)
F.Busoni au piano
Né d’une mère allemande et d’un père italien, tout deux musiciens, Feruccio Busoni est vite acclamé comme un enfant prodige du piano (concerts dès l’âge de huit ans, dirige ses premières compositions à douze ans). Il perfectionne ses connaissances techniques avec Max Reger pour la composition. Cette double culture européenne du nord et du sud dont il bénéficie favorisera sa curiosité artistique et son goût pour les voyages et les découvertes culturelles et esthétiques. Il vivra en Italie, en Autriche, en Allemagne, enseignera à Moscou, Helsinki, Boston (USA) puis s’installera définitivement à Berlin. Sa culture latino anglo-saxonne deviendra cosmopolite.
Ses nombreux récitals de piano l’ont amené comme l’avait fait Liszt à paraphraser certains opéras célèbres comme Carmen dont il donne un résumé éblouissant dans sa 6° sonatine pour piano (1920) tout en enrichissant le langage harmonique de Bizet.
Lorsque l’on examine le catalogue des œuvres de Busoni, on s’aperçoit que les trois quarts de sa production font référence à d’autres compositeurs : outre 7 volumes de transcriptions consacrées à Bach, il revisita Mozart, Cramer, Beethoven, Schubert, Novacek, Chopin, Liszt, Paganini, Mendelssohn, Brahms, Gade, Goldmark, Wagner, mais aussi … Schoenberg. Véritable visionnaire en ce début de XX° siècle, il déclarera que «La musique est née libre et qu’elle doit constamment s’affranchir des limites imposées par les instruments dont on dispose»
A RETENIR:
* Busoni est un personnage doué d’un esprit curieux, éclectique et cosmopolite. Il défend la musique de son temps, notamment celle de Schönberg.
* A cheval entre le XIXe et le XXe, Busoni est surtout connu comme transcripteur, et arrangeur au piano. Il a transcrit énormément d’œuvres de Bach, notamment des pièces pour orgue. Ces transcriptions ne sont pas des réécritures scientifiquement fidèles à l’original, elles sont l’occasion pour lui d’y apporter sa touche personnelle.
* La chaconne de Bach qu’il a transcrite est composée dans un style héritant des grands pianistes romantiques: surtout Liszt et Brahms.
* Œuvre emblématique de la littérature pour violon solo, cette chaconne a suscité bien des engouements pour se l’approprier, au piano notamment. Schumann (1810-1856) et Mendelssohn (1809-1847) ont réalisé un accompagnement de piano sans toucher à la partie de violon. On connaît ensuite la version de Johannes Brahms (1833-1897) pour la main gauche de 1870 dans laquelle le jeu du violon, instrument couramment monodique et exceptionnellement polyphonique s’adapte parfaitement au jeu pianistique d’une seule main. Brahms se contente de transposer la totalité des variations à l’octave inférieure en respectant scrupuleusement l’alternance de jeu monodique et polyphonique. Aucun son n’est ajouté ni retiré. Et enfin la transcription de Busoni de 1897.
Johann Sebastian
Bach (1685-1750)
B)
* Bach a écrit des suites de danses instrumentales notamment pour orchestre, pour clavecin (suites anglaises, françaises, partitas) et pour violon seul (3 partitas). Celles-ci comportent donc plusieurs mouvements de danses qui se distinguent par leur rythme. Rappelons que ces pièces ne sont pas du tout destinées à la danse mai sont purement instrumentales.
* Dans la partita n°2 BWV 1004 datant de 1720, on observe dans l’ordre une allemande, une courante, une sarabande, une gigue, et enfin une chaconne. Celle-ci est beaucoup plus longue que les autres danses (une douzaine de minutes contre 3 en moyenne selon les interprétations)
* Une chaconne est à l’origine une danse populaire espagnole à 3 temps. Elle apparaît en France et en Italie aux XVIIe siècle et devient avec le temps une forme à variations sur une basse obstinée, comme la passacaille qui en est très proche (Passacaille en do mineur pour orgue de Bach BWV 582).
* Le principe de variation sur une basse était fréquent à l’époque
baroque. On pense par exemple aux Variations sur
* Si ce principe de variation est évidemment commun aux deux versions Bach et Busoni, il en va tout autrement de la manière et du style que prennent ces variations dans une version ou dans l’autre. C’est tout l’objet de cette étude. A ce propos, Busoni dispose de 2 éléments dont Bach ne disposait pas:
- la facture d’un piano de la fin du XIXe, qui n’a rien à voir avec un violon du début du XVIIIe. Le piano est un gros instrument, étudié pour permettre des effets de résonance, de nuances très contrastées, d’accords chargés, alors que le violon garde ses caractéristiques propres aux instruments à archet.
- une forte influence du caractère romantique avec ses excès, ses
envolées lyriques, ses forts
contrastes, son aptitude à exprimer les sentiments personnels du
compositeur.
C)
ANALYSE DE
Le principe:
Le thème de la chaconne repose sur un schéma cadentiel irréductible en ré mineur (I,V,VI,IV,V,I), commence sur le 2e temps et se présente au début sur les 4 premières mesures (jusqu’au 1er temps inclus de la mesure 5). Toute la chaconne est bâtie sur des petites séquences de 4 mesures représentant à chaque fois une variation sur cette basse de 4 mesures. Tout l’intérêt de cette chaconne consiste tant pour le violon ou le piano à donner des présentations variées de motifs reposant sur une basse harmonique commune. Un élément stable (le schéma cadentiel irréductible) se juxtapose à un élément variable (les variations).
La structure:
1ère partie: Premières variations (mes 1 à 138) en ré m (début à 8’05)
Récapitulation du thème initial à 7’30 mes 131
2ème partie: Variations suivantes (mes 139 à 213) en ré M dominées par le choral (8’05 à 12’20)
3ème partie: Variations (mes 214 à fin) à nouveau en ré m (12’20 à fin). Récapitulation du thème initial à 14’46 mes 254
I - Enrichissement
harmonique: (doublures, 3ces et 6tes)
mes 33-36 l’alternance monodie-polyphonie,
L’harmonie de Bach est globalement respectée voire enrichie : là où le
violon est monodique, Busoni réalise la basse et harmonise les parties
supérieures (mes 33-36). Il reprendra cet élément afin de contrepointer les
mesures suivantes (37-40). Certaines variations seront contrepointées avec des
éléments totalement extérieurs à
II - Elargissement des registres: (libertés d’octave) mes 41 On trouvera une écriture à « trois étages » (mes 122 et suivantes puis 205 à 212) héritée de Liszt et générant de rapides mouvements latéraux et simultanés des deux mains qui peuvent être parallèles ou en mouvement contraire. Mes 165: remarquer la spacialisation de l’espace avec les trois la à trois hauteurs différentes.
III - Fluctuations agogiques (tempo giusto, accelerando…) mes 165, etc… accelerando, ritardando, rubato
IV - Forts contrastes de nuances
p / quasi f (mes 33), ff (mes 73), p (mes 97)
V - Effets typiquement pianistiques: grandes gammes (mes 73), octaves, signes de phrasé (lié, piqué, marcato (mes.117…), résonance de la pédale. L’évolution de la facture du piano depuis le début du 19° siècle laisse apparaître une préoccupation constante : le contrôle de l’artiste sur la qualité du son produit est très inférieur au contrôle que peut en avoir le violoniste ou l’instrumentiste à vent. Cette frustration a progressivement été compensée par des progrès techniques considérables : le double échappement qui permet de répéter des notes très rapidement (indispensable mes 233 à 244) et assure un meilleur contrôle du phrasé. L’introduction de matériaux métalliques (cadres, sommiers…) permit de gagner de la puissance et une plus grande précision. Les cordes croisées enrichissent la résonance des harmoniques. L’ajout de la pédale douce una corda qui décale les marteaux vers la gauche permet d’obtenir un son plus lointain.
Busoni utilise les outils de la musique romantique avec ses excès, son pathos, son aspect démonstratif sur une musique originale plus sobre, moins engagée sur le plan des sentiments. Le caractère de la version Busoni ne s’applique pas à pièce de Bach.
En conclusion, Busoni finit par transformer une pièce de musique de chambre, finalement assez intimiste en une œuvre plus chargée, plus massive, plus démonstrative, sur le chemin d’une véritable orchestration. Busoni n’a pas touché au fond de l’œuvre, n’a pas inventé de nouveau motifs, son rôle a été de présenter ceux de Bach d’une manière plus proche de son époque post romantique.
Sources:
Article d'd'Evelyne Delmas dans l'Education Musicale, supplément au n°515-516 de
septembre/Octobre 2004
Article de
Claude Desfray, IA-IPR d'Education Musicale de l'académie de Caen
Les partitions des
trois versions de Bach/Busoni/Brahms mises en regard