OPTION DE SPÉCIALITÉ ET FACULTATIVE BAC 2006 et 2007: |
I
- BIOGRAPHIE II
- LES SOURCES D’INSPIRATION A - LES TEXTES TAOISTES B - LE YING ET LE YANG C - PLEIN ET VIDE III
- OUTILS DE COMPOSITION A - LE YI KING B -
IV
- ANALYSE A - LE DISPOSITIF
INSTRUMENTAL ET ELECTRONIQUE, ET
B
- STRUCTURE DE C - APPROCHE DU TIMBRE ET DU TEMPS |
|
Xu Yi |
I - BIOGRAPHIE
* Xu Yi est née en 1963 en Chine à Nankin peu avant la
révolution culturelle. A l’âge de six ans, elle doit suivre sa mère envoyée à
la campagne dans une ferme de rééducation. Elle commence alors le violon
chinois (ehru) dans l’espoir d’atténuer la
précarité de sa vie.
* Elle rentre ensuite au Conservatoire de Shangai où elle poursuit l’étude du violon. A dix-sept ans,
elle entre dans la classe de composition. A vingt-deux ans, elle devient
professeur au Conservatoire de Shangai.
* Elle arrive en France en 1988, et suit des
études de composition et informatique musicale à l’IRCAM puis étudie au Conservatoire
de Paris avec Gérard Grisey qui l’influence beaucoup.
Elle obtient le premier prix de composition en 1994.
* Première pensionnaire chinoise à
* De 2001 à 2003, elle enseigne au
Conservatoire de Cergy-Pontoise. Actuellement, elle vit en Chine. Xu Yi a composé une trentaine
d’œuvres jouées et radiodiffusées à travers le monde, comme Tempête sur l’Asie ou Dialogue d’amour pour
soprano, chœur d’enfants et orchestre.
II - LES SOURCES D’INSPIRATION
Le Plein du
vide est une œuvre musicale dont les
sources d’inspiration ne sont pas uniquement musicales. Le titre évocateur
souligne l’appartenance de cette œuvre à une tradition de la pensée chinoise
marquée par le taoïsme et le principe du Yin et du Yang.
A - LES TEXTES TAOISTES
Xu Yi puise son inspiration
dans le taoïsme, pensée chinoise
marquée principalement par les écrits de Lao Tseu
et Tchouang Tseu
(tous les deux ayant vécu aux alentours du IVe siècle avant JC). Rappelons que
l’origine du nom de Lao Tseu vient de «Lao» = vieux et «Tseu»= nourisson. La pensée de Lao
Tseu est marquée par l’idée que chaque élément
possède son élément contraire. L’ouvrage principal de Lao Tseu
est le Daodejing.
Lao Tseu (à gauche: sculpture dans une vallée en
Chine, à droite: portrait)
Quelques citations:
« Les uns et
les autres, pendant leur rêve ne savent pas qu’ils rêvent, et parfois rêvent
qu’ils sont en train de rêver. Confucius et toi-même, vous n’êtes que des
rêves. Je te dis que tu rêves, cela aussi est un rêve. » (Chang Tseu)
Extraits du Daodejing de Lao Tseu:
* Les paroles sincères manquent souvent d’élégance, les paroles élégantes sont rarement sincères
* Souvent, le vrai résonne
comme le faux, et le faux résonne comme le vrai
* Connaitre les autres, c'est sagesse
Se connaître soi-même, c'est sagesse supérieure
Imposer sa volonté aux autres, c'est
force
Se l'imposer à soi-même, c'est force supérieure
* Tout le monde tient le beau pour le
beau,
c’est en cela
que réside sa laideur.
Tout le
monde tient le bien pour le
bien,
c’est en cela
que réside son mal.
Car l’être
et le néant s’engendrent.
Le facile
et le difficile se parfont.
Le long et le
court se forment l’un par
l’autre.
Le haut
et le bas se touchent.
La voix
et le son s’harmonisent.
L’avant
et l’après se suivent.
C’est pourquoi
le saint adopte
la tactique
du non-agir,
et pratique
l’enseignement sans parole.
Toutes choses
du monde surgissent
sans qu’il en soit l’auteur.
Il produit
sans s’approprier,
il agit
sans rien
attendre,
son œuvre
accomplie, il ne s’y attache pas,
son œuvre
restera. [...]
B - LE YING ET LE
YANG
Le Yin et le Yang est
une forme de pensée chinoise proche du taoïsme qui tend à montrer que chaque
élément possède son contraire. L’objet et son contraire ne doivent pas être
pensés comme opposés mais complémentaires. Yin/Yang, Terre/Ciel, Nuit/Jour, Froid/Chaud,
Intériorise/Extériorise, Repos/Action, Stabilise/ Change, Restaure les forces/Dépense
sa force…
Quand une bonne chose arrive, on est heureux, mais c’est
peut être un signe qu’une mauvaise chose arrive, et inversement.
«Les
couples d’opposés complémentaires qui structurent la vision chinoise du monde
et de la société (yin/yang, Ciel/Terre, Vide/Plein, père/fils, souverain/ministre,
etc.) déterminent une forme de pensée, non pas dualiste au sens disjonctif,
mais ternaire en ce qu’elle intègre la circulation du souffle qui relie les
deux termes (…)» Xu
Yi, Le Plein du Vide
Le plein du vide s’inspire directement de la pensée du Yin et du
Yang.
C - PLEIN ET VIDE
* Le titre de cette œuvre provient d’un
extrait d’une oeuvre de Tchouang Tseu.
Pour un occidental, il peut ressembler un jeu de mot en forme d’oxymore, mais il
n’en est rien si l’on se réfère à la pensée taoïste qui considère que chaque
élément possède son contraire complémentaire.
* Chez les Taoïstes, c’est le vide qui permet
d’atteindre la vraie plénitude, il est donc à l’origine de tout. Dans
l’œuvre de Xu Yi, le vide
correspond au silence à l’origine de la partition (celui qui précédait même sa
composition) et aux silences structurels à l’intérieur de la pièce. Par contre,
les éléments tels que les notes et les rythmes appartiennent au plein. Le vide
et le plein s’opposent et se complètent comme le Yin et le Yang.
III - OUTILS DE COMPOSITION
A - LE YI
KING (ou Yi Ching)
* Le Yi King est un
recueil d’oracles de
Le
livre du Yi King, ou le livre des changements et des
transformations, est l'un des livres les plus anciens de
* Il existe huit trigrammes de base:
Chaque trigramme représente symboliquement
(de gauche à droite):
Ciel, Terre, Tonnerre, Eau, Montagne, Vent,
Feu, Lac
* Les trois traits des trigrammes sont soit
yin, soit yang (trait continu ou trait divisé). En doublant les trigrammes (en
en superposant 2 l’un sur l’autre), on obtient alors des hexagrammes, et 64
combinaisons d’hexagrammes sont alors possibles (8 fois 8).
* Xu Yi utilise 192 hauteurs de notes dans le Plein du Vide (incluant les ¼ de tons).
Elle fait correspondre chacun de ces 64 hexagrammes à trois notes (incluant les
¼ de tons). Un hexagramme pouvant représenter 3 notes possibles, on obtient la
totalité des 192 notes utilisées (64 x 3 = 192)
Correspondance des 64 hexagrammes du Yi King avec les 192 hauteurs de notes utilisées dans Le
Plein du Vide. (1 hexagramme=3 notes possibles)
B -
* On considère Gérard Grisey (1946-1998), compositeur
français, comme une figure majeure de la technique spectrale (voir
l’œuvre Partiels par exemple)
élaborée à la fin des années 1970. Il a été le professeur de composition de Xu Yi et celle-ci à repris cette technique de composition mise au service
d’une esthétique qui lui est propre.
* Un des
éléments essentiels de cette écriture est la liaison entre les éléments
musicaux et le spectre
du son,
c'est-à-dire son fondamental et l’ensemble de ses sons harmoniques.
* Dans Le Plein du Vide, les 5 grandes sections
parcourent les partiels de sons fondamentaux, issus du Fa. Pour un Fa = 21,827
Hz, le partiel n°2 = 21,827 x 2 = 43,654 Hz. On multiplie la fréquence du son
fondamental par le numéro du partiel pour obtenir la fréquence du partiel.
* Fa, Fa#,
Lab, La, Do# seront les notes fondamentales des cinq
parties de l’œuvre. Ce sont toutes des
partiels de Fa,
note pôle de toute l’œuvre.
Partiels |
Fréquence |
Note |
1 |
21,827 Hz |
Fa |
2 |
43,654 Hz |
Fa |
3 |
65,481 Hz |
Do |
4 |
87,308 Hz |
Fa |
5 |
109,135 Hz |
La |
6 |
130,962 Hz |
Do |
7 |
152,789 Hz |
Mib bas |
8 |
174,616 Hz |
Fa |
9 |
196,443 Hz |
Sol |
10 |
218,27 Hz |
La |
11 |
240,097 Hz |
Si – 1/4 |
12 |
261,924 Hz |
Do |
13 |
283,751 Hz |
Ré – ¼ |
14 |
305,578 Hz |
Mib – ¼ |
15 |
327,405 Hz |
Mi bas |
16 |
349,232 Hz |
Fa |
17 |
371,059 Hz |
Fa # |
18 |
392,886 Hz |
Sol |
19 |
414,713 Hz |
Sol # |
20 |
436,54 Hz |
La |
21 |
458,367 Hz |
Sib – ¼ |
22 |
480,194 Hz |
Si – ¼ |
23 |
502,021 Hz |
Do – ¼ |
24 |
523,848 Hz |
Do |
25 |
545,675 Hz |
Do + ¼ |
26 |
567,502 Hz |
Do# |
27 |
589,329 Hz |
Ré – ¼ |
28 |
611,156 Hz |
Mib – ¼ |
29 |
632,983 Hz |
Mi – ¼ |
30 |
654,81 Hz |
Mi |
31 |
676,637 Hz |
Fa – ¼ |
32 |
698,464 Hz |
Fa |
33 |
720,291 Hz |
Fa + ¼ |
34 |
742,118 Hz |
Fa# |
35 |
763,945 Hz |
Fa + ¾ |
36 |
785,772 Hz |
Sol |
37 |
807,599 Hz |
Sol + ¼ |
38 |
829,426 Hz |
Sol # |
39 |
851,253 Hz |
Sol + ¾ |
40 |
873,08 Hz |
La |
IV - ANALYSE
Cette œuvre, écrite en 1997
à la villa Médicis, fait partie d’un cycle de cinq pièces : «Les Rêves de
Tchouang-tseu» :
- Huntun
(Chaos primitif), pour cinq
groupes d’instruments
- Wou-wei (Non-agir), pour trompette et flûte
basse
- Xia-yao-you (Liberté naturelle), pour douze instruments et
dispositif huit pistes
- Gu yin (en
référence aux instruments de cérémonies taoïstes), pour flûte et percussions
- Le Plein du Vide
A - LE DISPOSITIF
INSTRUMENTAL ET ELECTRONIQUE, ET
Le principe de cette œuvre repose sur le dialogue
entre l’ensemble instrumental et sa spatialisation.
1- Le dispositif
instrumental:
* Des instruments de l’orchestre européen classique
(flûte, cor anglais, clarinette, basson, cor,
trompette, trombone, tuba, 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle,
1 contrebasse)
* 2 ensembles de percussions très riches (crotales,
marimba, timbale, bols tibétains, grosse caisse
grave, bongos, tom-toms, tambour
de bois, tam-tam), glockenspiel, vibraphone)
2 - Le dispositif électronique:
* Chacune des huit pistes musicales (dans la
partition) est affectée à un haut-parleur (piste 1 = HP1). Sur ces pistes ont
été enregistrés des instruments acoustiques, il n’y a pas du tout de son
spécifiquement électronique. Tout le travail sur bande a été fait en studio par
la compositrice. Les instruments ont été enregistrés individuellement, puis les
pistes ont été montées selon la partition définie par la compositrice.
3 - La spatialisation:
* L’ensemble des sources sonores acoustiques et électroniques sont
éparpillées dans une disposition très précise (voir la page «implantation du
dispositif» au début de la partition). Les instruments traditionnels sont
regroupés sur scène. La trompette est masquée par un tulle (un voile), elle
n’est donc pas visible et par conséquent sa
sonorité est altérée: elle est plus lointaine, plus mystérieuse. Les 8 haut-parleurs sont disposés en rectangle à
l’extérieur de tout le dispositif.
* Ecouter Le plein du vide
sur une chaîne stéréo est donc extrêmement réducteur, puisqu’on ne se rend pas
compte du déplacement du son dans l’espace, il faut absolument l’écouter en
concert.
B - STRUCTURE DE
PARTIES |
I |
II |
III |
IV |
V |
||
MESURES |
1 à 50 |
51 à 75 |
76 à 145 |
146 à 171 |
172 à fin |
||
1 à 24 |
25 à 38 |
39 à 50 |
|||||
MINUTAGE |
|
3’08 à 4’51 |
4’51 à 9’42 |
9’42 à 11’46 |
11’46 à 14’12 (fin) |
||
|
1’30 à 2’35 |
2’35 à 3’08 |
|||||
Note fondamentale
correspondante (issue des harmoniques de fa) |
FA |
FA# |
FA |
LAb |
LA |
DO# |
FA |
Numéro d’ordre du
partiel |
1 |
17 |
1 |
19 |
3 |
26 |
1 |
PARTIE I (mes 1 à 50,
* La première (mes 1 à 24,
* La deuxième (mes 25 à 38, 1’38 à 2’35, note
fondamentale fa#) est d’une nuance piano toute différente que la première. Elle
est marquée par l’utilisation d’intervalles très petits (nombreux ¼ de tons),
ce qui provoque des «battements» (phénomène entendu lorsque deux notes dont
la hauteur est très proche (¼ de ton et moins) sont entendues simultanément)
* La troisième (mes 39 à 50, 2’35 à 3’08,
note fondamentale fa) reprend globalement les mêmes éléments que la première
sous partie, en plus court
PARTIE II (mes 51 à
75, 3’08 à 4’51, note fondamentale la
bémol)
* La note fondamentale se remarque bien au trombone
(mes 62). Un même motif circule mes 59 (violoncelle), puis à 60 (percus II, vibraphone) et juste après à 61 (clarinette), ce
qui constitue une mélodie de timbres (lorsqu’un même thème ou motif est
présenté successivement à des instruments différents)
PARTIE III (mes 76 à 145, 4’51 à 9’42, note fondamentale la)
* C’est la partie la plus longue et la plus
méditative, on peut la considérer comme un développement de la partie II. On
entend bien la note fondamentale la au trombone dans un registre très grave
(mes 104). On remarque une présence régulière des percussions et l’entrées
des bols tibétains mes 78
PARTIE IV (mes 146 à 171, 9’42 à 11’46, note fondamentale do#)
* La note fondamentale n’apparaît jamais ici.
Remarquer l’échange de motifs en glissandi entre le violoncelle et l’alto,
mes 152 et suivante, voulu comme un trait «d’humour» de la part de Xu Yi. A noter également
l’utilisation intense des crotales jouées avec des aiguilles (mes 152 et
suivantes)
PARTIE V (mes 172 à fin,
* Cette dernière partie marque le retour du
son fondamental fa et du motif initial des trompettes et des timbales de la
première partie. Il faut penser ce retour dans l’esprit du yin et du yang,
c'est-à-dire dans une conception circulaire du temps où l’on retrouve des
éléments connus. A noter l’utilisation de la «trompetta»
à la fin (mes 188 et suivantes) ou trompette jouet.
AUTRES POINTS
* Dynamique générale: Les nuances sont très contrastées mais les
endroits forte sont assez courts et
servent de balise (passage d’une partie à une autre). Les parties piano sont les plus longues. Voici le
schéma des nuances dans toute la pièce:
* Déviations micro tonales: ce sont des notes entendues simultanément dont la
hauteur est très proche (¼ de ton ou
moins). Elles ont été réalisées en studio et donnent une texture sonore plus
riche. Exemple Piste 7 et 8 mes 52 et suivantes.
* Déviations micro temporelles: une partie instrumentale peut être suivie ou
précédée de son « ombre » enregistrée sur les pistes
C - APPROCHE DU
TIMBRE ET DU TEMPS
LE
TIMBRE
a)
Des modes de jeu variés:
Cordes frottées:
Harmoniques, glissandi, trilles, trémolos, pizzicati.Le registre des cordes est presque
systématiquement suraigu et l’écriture utilise abondamment les
micro-intervalles (quarts de tons).
Vents:
Sourdine
Percussions:
Roulements, bols tibétains joués au dessus de la
timbale, trémolos (vibraphone, marimba)
b)
Le timbre comme élément structurel:
On peut avoir une lecture
timbrale de la structure de la pièce. C'est-à-dire
considérer que l’emploi de certains motifs timbriques
façonnent la structure de la pièce. Ces éléments
pourraient être:
* La note violemment répétée – trémolo – de la
trompette
* Les sons tenus aux vents
* Les lignes « mélodiques » des cordes
dans le suraigu, en harmoniques et en glissandi
* Les sons répétés des bongos
* Le jeu percussif des bois
LE
TEMPS
* Il y
a quelques rappels (« thèmes ») qui sont entendus plusieurs fois dans
l’œuvre et qui nous font prendre conscience du déroulement temporel de l’œuvre.
C’est par exemple le motif aux trompettes au début que l’on retrouve par
exemple à la fin (mes 176).
* La
conscience d’un temps linéaire est faite par les bornes bien marquées entre les
parties, c'est-à-dire souvent un accord joué très fort, ou un changement de
timbre brutal (mes 50, 76… )
* Un
peu à la manière d’Atmosphères de Ligeti, la perception du temps musical dans le
plein du vide est sujette à des illusions: à certains endroits il y a des notes
rapides et on a l’impression au contraire d’un passage très lent (partie 4 mes
150 et suivantes)
* L’écriture de la partition
est faite avec un solfège traditionnel. Si la perception est toujours en temps
lisse, l’écriture est réalisée en temps pulsé. C’est uniquement le chef qui
perçoit la pulsation, qui lui est donnée sur une oreillette.
Source
principale:
Xu Yi, le plein du vide, Article de Jean-Luc Idray, 2005
Sources
secondaires:
Xu Yi à la croisée des chemins, Marc Mathey
Xu Yi, le plein du vide, analyse d’Eric Michon