OPTION FACULTATIVE BAC 2007 et
2008 |
Jehan
Alain
«Litanies» pour orgue, 1937
«Quand l’âme chrétienne ne trouve plus de mots nouveaux dans la détresse pour implorer la miséricorde de Dieu, elle répète sans cesse la même invocation avec une foi véhémente. La raison atteint sa limite. Seule la foi poursuit son ascension.» J.Alain
Orgue de la famille Alain
I - Les litanies: un genre religieux et musical
II - L'orgue, le «pape» des instruments
III - Jehan Alain, une courte carrière
IV - Les «Litanies»: analyse de la pièce
I - Les litanies: un genre religieux et musical
a) Définition
Les litanies sont des prières formées d’une longue suite de courtes invocations répétées trouvant leur origine dans les premières heures du christianisme où les fidèles répétaient inlassablement «Kyrie eleison ...» (Seigneur, prends pitié).
* Ce sont des prières à connotation catholique, donc un genre religieux
* Elles contiennent de courtes invocations
* Où l’idée de la répétition est très importante
b) Historique
On peut trouver le genre des litanies dans la littérature par exemple. «Les litanies de Satan» de Charles Baudelaire, par exemple où l’idée de courte invocation répétée se constate à l’évidence:
O
toi, le plus savant et le plus beau des Anges, Dieu
trahi par le sort et privé de louanges, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! O
Prince de l'exil, à qui l'on a fait du tort, Et
qui, vaincu, toujours te redresses plus fort, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui sais tout, grand roi des choses souterraines, Guérisseur
familier des angoisses humaines, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui, même aux lépreux, aux parias maudits, Enseignes
par l'amour le goût du Paradis. O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! O
toi qui de la mort, ta vieille et forte amante, Engendras
l'Espérance, - une folle charmante! O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui fais au proscrit ce regard calme et haut Qui
damne tout un peuple autour d'un échafaud, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui sais en quels coins des terres envieuses Le
Dieu jaloux cacha les pierres précieuses, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
dont l'œil clair connaît les profonds arsenaux Où
dort enseveli le peuple des métaux, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
dont la large main cache les précipices Au
somnambule errant au bord des édifices, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui, magiquement, assouplis les vieux os De
l'ivrogne attardé foulé par les chevaux,
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O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui, pour consoler l'homme frêle qui souffre, Nous
appris à mêler le salpêtre et le soufre, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui poses ta marque, ô complice subtil, Sur
le front du Crésus impitoyable et vil, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Toi
qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles Le
culte de la plaie et l'amour des guenilles, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Bâton
des exilés, lampe des inventeurs, Confesseur
des pendus et des conspirateurs, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! Père
adoptif de ceux qu'en sa noire colère Du
paradis terrestre a chassés Dieu le Père, O Satan, prends
pitié de ma longue misère ! PRIÈRE Gloire
et louange à toi, Satan, dans les hauteurs Du
Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs De
l'Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence! Fais
que mon âme un jour, sous l'Arbre de Science, Près
de toi se repose, à l'heure où sur ton front Comme
un Temple nouveau ses rameaux s'épandront!
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Charles Baudelaire (1821-1867)
Ou encore les «Litanies pour un retour» de Jacques Brel (1929-1978) qui montre aussi cette idée de répétition d’une invocation courte:
Jacques Brel - Litanies pour un retour
Mon cœur ma mie mon âme Mon ciel mon feu ma flamme Mon puits ma source mon val Mon miel mon baume mon Graal Mon blé mon or ma terre Mon soc mon roc ma pierre Ma nuit ma soif ma faim Mon jour mon aube mon pain
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Jacques Brel (1929-1978) |
Ma voile ma vague mon guide ma voix Mon sang ma force ma fièvre mon moi Mon chant mon rire mon vin ma joie Mon aube mon cri ma vie ma foi
Mon cœur ma mie mon âme Mon ciel mon feu ma flamme Mon corps ma chair mon bien Voilà que tu reviens
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En musique classique, on trouve également des exemples de litanies:
* Les Litanies de Lorette de Mozart où le texte Regina Angelorum Ora pro nobis («Reine des anges [la vierge], priez pour nous») est répété un grand nombre de fois (mais avec une musique différente)
* Les Grandes litanies de Serguei Rachmaninoff font entendre un célébrant psalmodier (chanter d’une manière répétitive et non virtuose) avec un chœur qui lui répond.
* Les célèbres Litanies à la vierge noire composées en 1936 (un an avant les litanies d’Alain) de Francis Poulenc, en référence à la sculpture de la vierge noire abritée dans l’église Notre-Dame de Rocamadour:
"Sainte Vierge Marie, priez pour nous,
Vierge, Reine et Patronne, priez pour nous,
Vierge que Zachée le publicain nous a fait connaître et aimer,
Vierge à qui Zachée ou Saint Amadour
Eleva ce sanctuaire, priez pour nous... "
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W.A.Mozart (1756-1791) |
S.Rachmaninoff (1873-1943) |
Francis Poulenc (1899-1963)
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II - L'orgue, le «pape» des instruments (selon Berlioz)
Orgue du studio 104 de la maison de la radio à Paris
a) Fonctionnement
Dessin d’Isabelle Baudrillart
L’orgue est un instrument à vent polyphonique. Toutes les orgues fonctionnement selon ce principe:
* Une soufflerie fournit l’air, un réseau de canaux étanches conduit cet air aux tuyaux par l’intermédiaire d’un sommier et une mécanique complexe permet à l’organiste de sélectionner parmi les centaines ou les milliers de tuyaux certains jeux particuliers, cette sélection s’opère à partir de la console de l’orgue, grâce à un système de tirettes. L’organiste joue sur plusieurs claviers dont l’un, le pédalier, est joué par les pieds.
* L’air est insufflé vers les tuyaux, qui constituent le corps sonore de l’instrument. Ces tuyaux, répartis en jeux possédant chacun un timbre particulier, sont soit en bois, soit en étain. Certains fonctionnent selon le principe d’une flûte (biseau), d’autres selon le principe d’un instrument à anche. Il est caractérisé par un nom, suivi d’un chiffre:
«BOMBARDE 32»: le tuyau le plus grave mesure 32 pieds (ancienne mesure encore utilisée en Grande Bretagne, mesure 0,33m), soit 32 x 0,33 m = 10,56 m
«MONTRE 8 », tuyaux de façade que l’on «montre» 8 pieds x 0,33m = 2,64 m
«FLÛTE 4» 4 pieds x 0,33m = 1,32 m
* La diversité de ses jeux et la mécanique qui les régit en font le plus complet des instruments polyphoniques. Certains instruments comptent jusqu’à deux mille tuyaux. Chaque orgue est l’oeuvre d’un facteur, et est réalisé à l’endroit même de son implantation définitive, il n’existe pas au monde deux orgues semblables.
Sommier
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Sommier complet
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Tuyaux à anche |
Tuyaux à bouche |
Anches de 32 pieds
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Tuyau de 32 pieds
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b) Bref historique
L’ANTIQUITE
L’orgue est le plus ancien des instruments à clavier. On attribue à Ctésibios (physicien grec du IIIe siècle avant JC) diverses inventions étonnantes comme un frein pneumatique, ou encore un orgue hydraulique dont les tuyaux vibrent sous l’action de l’air que leur envoyait un réservoir à eau équipé de pompes à valves:
Coupe de l’orgue hydraulique de Ctésibios décrit par Héron d'Alexandrie (mathématicien grec, Ier siècle après JC). Une seule pompe, une seule rangée de tuyaux.
Reproduction très fidèle d'une hydraule de l'antiquité. Il s’agit d’une lampe à huile en terre cuite en forme d'orgue hydraulique (Musée Lavigerie, Carthage, TUnisie). D'un côté on voit le socle hexagonal, les deux pompes, les trous pour la mèche et l'huile, les tuyaux et leurs bouches. De l'autre côté on voit l'organiste debout (un fragment seulement)
LE MOYEN AGE
L’orgue se répand ultérieurement dans tout le monde romain sous le nom d’organum (instrument de musique, du grec organon). Introduit dans les monastères et les églises de l’occident chrétien, il est d’abord utilisé comme guide-chant, puis, en dépit de ses origines païennes, il devient finalement l’unique instrument de la liturgie chrétienne. L’orgue médiéval, de dimensions modestes, était transporté lors des processions, grâce à une courroie passée sur l’épaule ; le musicien appuyait, d’une main, sur les touches pendant que, de l’autre main, il actionnait un soufflet alimentant les 8 à 32 tuyaux que comptait l’instrument.
Reproduction d’un orgue portatif du Moyen-âge
Les possibilités offertes par le principe de l’orgue amenèrent, au 15è siècle, à abandonner l’orgue portatif au profit d’un instrument plus étoffé, non mobile, qui reçut le nom d’orgue “positif”. C’est le véritable orgue d’église que l’on connaît aujourd’hui.
Initiale du psaume «Beatus vir» d’un manuscrit de la bibliothèque de l’université de Munich (Codex 4e Cod. Ms.24 (=Cim.15) fol. 2v. Presque tous les instruments du XIIIe siècle y sont représentés (vièle, psaltérion, flûte traversière, orgue, carillon)
Un personnage richement vêtu essaie de suspendre un orgue à un arbre, Manuscrit de la Bibliothèque nationale, Paris, ms. fonds latin 11560, réserve, fol.36. On distingue clairement les tuyaux en forme d’entonnoir, leurs bouches et les tirettes des coulisses (correspondant aux notes). L’instrument a deux jeux de huit notes et , à gauche et à droite, des bourdons, tuyaux sonnant en permanence.
Miniature extraite de la bible d’Etienne Harding (Bibliothèque publique de Dijon, ms.14, fol.13v). Elle nous renseigne sur la façon dont on jouait sur un orgue médiéval, dont on tirait et poussait les tirettes qui devinrent le clavier. Deux porte-vents mènent l’air au sommier.
Le plus ancien orgue du monde qui soit encore utilisable est celui de l’église Notre-Dame de Valère à Sion (Suisse). Certains éléments datent de 1400 environ. Les peintures des volets sont l’œuvre de Peter Maggenberg, de Fribourg, et datent de 1434-37. Cet orgue, en «nid d’hirondelle» donne un exemple du soin qu’on apportait, aux XIVe et XVe siècles à l’aspect d’un orgue.
Dame jouant de l’orgue portatif. Tapisserie du XVIe siècle, Musée des Gobelins, Paris
EPOQUE BAROQUE (1600-1750)
Coupe de l’orgue français du XVIIIe siècle, d’après Bédos de Celles.
(L’art du facteur d’orgues, Paris 1766 ss, pl. LII)
Comme compositeur de musique d’orgue à cette période, outre l’organiste français Nicolas de Grigny (1672-1703) on retiendra l’immense Johann Sebastian Bach (1685-1750) dont l’œuvre d’orgue est un monument dans toute la littérature de cet instrument. La célébrissime Toccata et fugue en ré mineur BWV 565 allie la virtuosité, la majesté et la puissance écrasante de l’instrument, sans parler de la science du contrepoint et la fécondité de l’invention musicale.
CONTREPOINT: du latin «punctus contra puctus» (littéralement: point (ou note) contre point). Art de combiner des lignes mélodiques entre elles. La fugue est un genre éminemment contrapuntique
FUGUE: pièce polyphonique (à plusieurs voix) fondée sur le principe de l’imitation. Le thème de la fugue (appelé sujet) est d’abord exposé seul à une voix puis successivement aux autres voix. Viennent ensuite plusieurs épisodes appelés divertissements. Fugues de Bach (1685-1750).
TOCCATA: (de l’italien «Tocare»: toucher) pièce pour clavier au caractère improvisatoire visant à se «chauffer» les doigts avant de jouer la pièce suivante, souvent une fugue
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Les orgues de la période baroque sont très marqués par l’esprit de la contre réforme qui visait à renforcer le décor et l’aspect éclatant de l’intérieur des églises, dans les pays visés par ce courant: le sud de l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie.
Orgue baroque de Compostelle, Espagne
Orgue baroque de Passau, Allemagne du sud (près de Munich)
EPOQUE ROMANTIQUE (1800-1900)
L’époque romantique voit surgir l’orgue «symphonique» appelé de la sorte en raison de sa volonté à égaler la puissance et la variété de timbres d’un orchestre symphonique. On retiendra surtout les orgues Cavaillé-Coll, du nom d’un facteur d’orgues de cette époque. Quelques grands compositeurs de musique d’orgue de cette époque: Franz Liszt (1811-1886), César Franck (1822-1890), Charles-Marie Widor (1845-1937) et sa célèbre 5e symphonie pour orgue.
Orgue symphonique, St Sulpice, Paris (Cavaillé-Coll)
Orgue symphonique, Montréal
LE XXe SIECLE
Les orgues du XXe siècle peuvent prendre des formes inattendues, voire gigantesques (Philadelphie, USA). Quelques grands noms de compositeurs pour orgue: Olivier Messiaen (1908-1992 par exemple les Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité), Jehan Alain (1911-1940), György Ligeti (1923-2006, par exemple Volumina pour orgue)
Orgue moderne Eglise d’Hoffnung, Allemagne
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Orgue Wanamaker de Philadelphie, USA
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Olivier Messiaen (1908-1992)
III - Jehan Alain, une courte carrière
* Compositeur français né à Saint-Germain-en-Laye près de Paris (comme Debussy), Jehan Alain est membre d’une illustre famille d’organistes. On connaît encore aujourd’hui surtout sa sœur Marie-Claire pour avoir publié énormément d’enregistrements, dont plusieurs intégrales de l’œuvre d’orgue de Bach. Il commence son apprentissage avec son père (piano, orgue, harmonie) et entre au conservatoire de Paris à 17 ans.
* Mort à 29 ans le 20 juin 1940 en défendant Saumur, il laisse une oeuvre très personnelle et abondante, composée en 10 ans seulement. Improvisateur d’une imagination féconde, il laisse une centaine d’œuvres en dix ans, parmi lesquelles des compositions pour orgue, des pages pour le piano, ainsi que des pièces chorales
* Il privilégie l’émotion et la concision sur la technique et le bavardage inutile
* En tant que compositeur de musique d’orgue, il succède à de grands noms tels Charles-Marie Widor (1844-1937), Louis Vierne (1870-1937) ou Marcel Dupré (1886-1971). Il a pour contemporain Olivier Messiaen 1908-1992, également organiste et compositeur.
SES INFLUENCES
* Une éducation chrétienne: celle-ci a porté une influence décisive sur le compositeur, qui a composé beaucoup d’œuvres religieuses. Dans cet esprit, il est très marqué par le chant grégorien (chant religieux monodique a capella (sans accompagnement instrumental) chanté par des moines dont le texte est une prière et ne comportant pas de pulsation). Jehan Alain en tire le côté méditatif, la liberté rythmique, une certaine souplesse, et la modalité qui en découle, c'est-à-dire une couleur mélodique très ancienne.
* L’exposition coloniale de 1932 au cours de laquelle il découvre des musiques du magreb ou indiennes. Il est très marqué par les rythmes obsessionnels de danse, les timbres exotiques, le caractère improvisatoire de ces musiques
* La musique ancienne de la Renaissance (XVIe) et de l’époque baroque (1600-1750): il est très marqué par le chant grégorien ou par des compositeurs comme Roland de Lassus, Josquin des Près ou Bach. «La musique moderne s’apparente plus directement à la musique ancienne que la musique romantique ou classique. Par le simple jeu de l’orthographe musicale, on doit pouvoir passer insensiblement de l’une à l’autre et conserver la fraîcheur et la tendresse de la musique du XVIe siècle»
* Le jazz, dans lequel il apprécie la liberté de l’improvisation et la complexité rythmique: «Le jazz, qui m’attire, bien que je le redoute, m’a appris certaines équivoques rythmiques qui traduisent bien ma pensée»
L’orgue de salon familial des Alain: un 4 claviers construit par son père dans sa propre maison, lui fut à la fois instrument d’étude et source d’inspiration. Peu de compositeurs disposèrent, comme Jehan Alain, d’un orgue aux jeux multiples pour colorer ses improvisations et faire jaillir les timbres de ses créations.
IV - Les «Litanies»: analyse de la pièce
L'oeuvre est achevée en août 1937, elle est jouée la première fois en février 1938 à l’Eglise de la Trinité à Paris. C'est une oeuvre très connue, incontournable chez les organistes, comme le boléro de Ravel pour la musique d’orchestre.
Jehan Alain à l’orgue de son père à St Germain en Laye
Un caractère religieux et frénétique:
* Une litanie (du grec litê, = prière) est une prière morcelée en demandes brèves, présentées par un ministre du culte, à laquelle l’assemblée s’unit par la répétition d’une brève formule en réponse à chaque intention ou invocation formulée.
* Les Litanies d’Alain est une pièce traversée par une foi ardente: prière violente, mouvementée et obsessionnelle proche de la transe et de la «Supplication» (nom qui était prévu à l’origine). Le paroxysme est un caractère fort: «…je voudrais seulement une poussée, rien que des paroxysmes» J.Alain
Jehan Alain, en déchiffrant la partition des Litanies devant un ami::
« ...Il faut, quand tu joueras ça, donner l'impression d'une conjuration ardente. La prière, ce n'est pas une plainte, c'est une bourrasque irrésistible qui renverse tout sur son passage. C'est aussi une obsession : il faut en mettre plein les oreilles des hommes.,, et du Bon Dieu ! Si, à la fin, tu ne te sens pas fourbu, c'est que tu n'auras ni compris ni joué comme je le veux. Tiens-toi à la limite de la vitesse et de la clarté. Tant pis cependant pour les sixtes de la main gauche, à la fin. Au vrai tempo, c'est injouable. Mais le rubato n'est pas fait pour les chiens, et il vaut franchement mieux «bousiller» un peu que de prendre une allure qui défigurerait mes Litanies. »
* Alain a placé la phrase en exergue «Quand l'âme chrétienne ne trouve plus de mots...» (voir 1ère page du cours sous la photo) peu de temps après la tragique disparition de sa sœur dans un accident de montagne, en septembre 1937, la même année que la composition des Litanies, renforçant, s’il le fallait, l’aspect religieux de l’oeuvre
* Alain s’en réfère au chant grégorien pour ce qui est de l’utilisation de modes mélodiques (mode dorien et mixolydien) ainsi que pour la souplesse rythmique éloignée de la pulsation.
Deux thèmes principaux:
* Le thème principal de l’œuvre (mes 2 à 0’15 la 1ère fois), répété à satiété telle une litanie suggérée par le titre, fait apparaître une mélodie bâtie sur une cellule rythmique irrégulière 3 notes + 5 notes + 4 notes + 2 + 2. Il est écrit en mode de ré (sur mi bémol). «L’envoûtement de cette musique est surtout produit par la répétition implacable, obsédante du schéma rythmique» (Guide de la musique d’orgue). On peut parler d’ostinato rythmique mais également mélodique.
«Point n'est besoin d'analyser Litanies. Il suffit de se laisser entraîner par l'envoûtement rythmique qui découle de cette phrase obsédante, (…) qui s'enchaîne avec elle-même sans nous laisser reprendre haleine» Marie-Claire Alain
* Le 2e thème («thème-train») (mes 19, à 1’04 la 1ère fois) est plus de l’ordre d’une nouvelle formule rythmique irrégulière 3+5+3+5 que d’une mélodie, dont la frénésie et la dissymétrie furent inspirées à Alain par le bruit du train de banlieue qu’il prenait fréquemment de Paris à St Germain en Laye:
Là aussi, comme pour le thème principal, on retiendra la dissymétrie
rythmique et la répétition implacable du motif.
Une structure non symétrique portée par le paroxysme
Il n’y a pas de structure particulière dans cette pièce. L’unité en est assurée par le motif principal répété, dans une cours de plus en plus rapide et effrénée jusqu’à la fin. «Dans une improvisation, je n’aime pas le sentiment de progression, (…) de développement, d’extension de l’idée initiale. Je voudrais seulement une poussée, rien que des paroxysmes» J.Alain.
Une écriture rythmique originale
Une des grandes originalités d’Alain dans cette œuvre réside dans tout ce qui est relatif à la mesure. On remarquera:
* Une absence de mesure chiffrée (type 4/4, ¾, etc…)
* Un intérêt pour les mètres irréguliers (on l’a vu dans les deux thèmes)
* De nombreux changements de tempo: «Vivo» (mes 1), «Subito piu lento e intimo» (mes 28), «Vivo» (mes 30), «Vivacissimo» (mes 48), «Declamato» (mes51), «Un poco piu largo» (mes 52), «Poco accelerando» (mes 55), «Accelerando sempre» (mes 64), «Plus large» (mes 69)
* A noter également la souplesse rythmique employée, issue du chant grégorien (mesure 1 de l’introduction, mes 47, 51 «Declamato»), îlots de calme assez contradictoires avec la frénésie rythmique de l’oeuvre
Utilisation de modes mélodiques anciens ou originaux:
Mode dorien: c’est le mode de ré, issu du chant grégorien, que l’on rencontre dans le thème initial transposé sur mi bémol mesure 2 ou 8, mais aussi sur mi (mes 52) ou fa (mes 56)
Mode mixolydien: c’est le mode de sol, également issu du chant grégorien. On le rencontre dans l’accompagnement du thème initial mes 2. A noter l’originalité de faire entendre les deux modes simultanément
Mode octotonique: il alterne les tons et les demi tons. Appelé aussi mode de Bertha, on le rencontre mesure 58 (3’16):
.
Gamme par tons: célèbre chez Debussy, la gamme par tons se rencontre par exemple mes 62 au pédalier (3’37):
Une grande liberté d'interprétation:
Alain accorde une grande liberté d’interprétation à ces litanies:
«J'ajouterai que les 3 manuscrits laissés par l'auteur portent des indications de registration, de changement de claviers et même de tempo différentes. On pourra ainsi constater à quel point l'interprétation de l'œuvre peut être flexible, à condition de savoir ménager l'accelerando progressif pour terminer dans un sentiment de tension presque insoutenable» Marie-Claire Alain
Utilisation de puissants jeux d'orgue:
Cette œuvre nécessite de jouer sur un orgue symphonique de facture type Cavaillé-Coll. Les jeux utilisés sont ceux du grand orgue (G.O).
Jehan Alain sur la plage du Touquet, 1930
Sources:
Guide de la musique pour orgue sous la direction de Gilles Cantagrel, article de Georges Guillard, éditions Fayard
Article de Claude Desfray, IPR de l’académie de Caen, 2006
Analyse de Thierry Abalea, professeur au lycée de Falaise (14), 2006
Encyclopédie Microsoft Encarta
http://www.musimem.com/alain.htm
http://nikkojazz.free.fr/BAC/litanies/jehan_alain/Accueil.html
Travail d’Isabelle Baudrillart, bac 2007
Article d’Alain Mabit dans l’Analyse Musicale n°53, Septembre 2006, Bac 2007
Articles de Marie-Claire Alain et Sébastien Durand dans l’Education Musicale, supplément au n°533/534 Mai/Juin 2006, Bac 2007