2ème mouvement «Giuoco delle coppie» et 3e mouvement «Elegia» |
A -
Bartók, éléments biographiques, œuvres principales
B -
Le langage de Bartók
C -
Brève histoire du concerto
a) Le concerto grosso
b) Le concerto pour soliste
c) Le concerto pour orchestre
D -
Le concerto pour orchestre de Bartók, généralités
E -
Analyse des 2e et 3èmes mouvements
A - Bartok,
éléments biographiques, œuvres principales
* Béla Bartók est né en 1881 à Nagyszentmiklós en Hongrie (actuellement Sïnnicolaul Mare en Roumanie). Il manifeste des dons précoces en piano qu’il étudie au conservatoire de Budapest, la capitale. Son premier concert à vingt ans incluait la grandiose Sonate en si mineur de son compatriote Franz Liszt.
* Outre ses influences
(Debussy, Richard Strauss), il est connu pour avoir compilé des centaines de
chants populaires hongrois qu’il note soigneusement au cours de ses voyages
dans son pays. Avec son ami compositeur Zoltan Kodaly (1882-1967), il mène des recherches
communes sur les traditions populaires hongroises, mais aussi slovaques,
ukrainiennes, bulgares, serbo-croates, turques, arabes. Il est nommé professeur
de piano au Conservatoire de Budapest en 1907, ses tournées font connaître ses
œuvres. Lors de l’occupation nazie en 1940, il est contraint à l’exil et
s’installe aux Etats-Unis où il meurt en 1945.
* Il s’intéresse aussi à la botanique, l’entomologie, la géologie,
l’astronomie et aux oiseaux. Il collectionne les plantes, les insectes et les
papillons, les poteries, les objets et tissus des paysans qu’il classe
minutieusement. Il apprend 9 langues pour parfaire la connaissance des chants
populaires.
* Son intérêt pour la
musique populaire et traditionnelle de son pays influença fortement son style. Œuvres
principales: Les Mikrokosmos
(recueils pédagogiques de pièces pour piano), Quatuors à cordes, Musique pour cordes, percussions et celesta, le Concerto pour orchestre, la suite du
ballet Le Mandarin Merveilleux, l’opéra
Le château de Barbe bleue.
* Il fait partie de la même génération que Ravel, Stravinski, Varèse, Webern
1862----------------------------C.DEBUSSY----------------- 1918
1866----------------------------E.SATIE--------------------------1925
1874----------------------------------------------A.SCHOENBERG-----------------------------1951
1875------------------------------------M.RAVEL------------------------1937
1881------------------B.BARTOK--------------1945
1882--------------------------------------------Z.KODALY--------------------------------------------1967
1882--------------------------------------------I.STRAVINSKI-------------------------------------------1971
1883-----------------------------------------------E.VARESE----------------------------------------1965
1883---------------------------------A.WEBERN-----------------------------1945
1906---------------------------------------D.CHOSTAKOVITCH---------------------------1975
1908--------------------------------------O.MESSIAEN----------------------------------------1992
1911-----------------------J.ALAIN--------------------1940
B - Le langage de Bartok
* Rappel des grandes innovations musicales au début du XXe siècle: musique post romantique (Scriabine, Le Poème de l’extase, 1907), musique tonale mais utilisation non fonctionnelle de l’harmonie, (Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune, 1894), musique atonale (Schönberg, Klavierstücke Op.11 n°3, 1911), musique complexe sur le plan rythmique (Stravinsky, le Sacre du printemps, 1913)
a) Utilisation de la modalité. Un mode est une échelle comportant une tonique dont les intervalles entre les degrés sont variables. Quelques exemples:
La
danse de la ceinture (Braul), extraite des Danses populaires roumaines est écrite en mode de ré:
Si cette mélodie avait été en ré mineur « traditionnel », il y aurait eu un si bémol. La présence du si bécarre lui donne une couleur modale.
b) Utilisation
de mètres irréguliers. L’influence des musiques traditionnelles a
poussé Bartók à utiliser des pulsations et mesures irrégulières au cours d’une
même œuvre:
Chant des faucheurs de foin de Hiadel (extrait des chansons
populaires slovaque)
c) Une harmonisation et une orchestration
savante. L’utilisation de mélodies populaires implique souvent
qu’elles soient répétées parce qu’elles sont courtes. Pour varier leur présentation,
Bartók ne les harmonise pas toujours de la même manière. Par exemple dans la
première des Danses populaires roumainesi (Joc cu bâta, la danse du bâton), le thème principal est
harmonisé de deux manières différentes.
Le parlement hongrois
à Budapest
C - Brève
histoire du concerto
Le concerto est un genre de
musique instrumentale apparu en pleine période baroque au XVIIe siècle dont
l’originalité consiste à faire dialoguer un orchestre avec un soliste ou un
groupe de solistes. Historiquement apparaît d’abord le concerto grosso puis le concerto
pour soliste.
a) Le Concerto grosso
Le concerto grosso faisait s’opposer un
orchestre (appelé ripieno ou tutti)
à un groupe de solistes ou un autre orchestre plus petit (le concertino). Cette opposition crée une
véritable dynamique dont l’intérêt réside dans un dialogue et une opposition
entre les deux. On retiendra Arcangelo Corelli (1653-1713), Giuseppe Torelli (1658-1709)
pour les précurseurs du genre, mais aussi Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
ou JS Bach (1685-1750) dans ses six merveilleux Concertos brandebourgeois (1721).
b) Le concerto pour soliste
Plus propice à la virtuosité, il supplante peu à peu le concerto grosso. Plus spectaculaire et plus adapté à flatter l’ego du soliste, le beauté de celui-ci découle en partie de «l’affrontement» et de la rivalité que se portent l’orchestre et le soliste. On retiendra dans ses débuts surtout Antonio Vivaldi (1678-1741), originaire de Venise, dit le prêtre roux qui composa plus de 450 concertos. Il fixa la forme en trois mouvements vif-lent-vif. Les Quatre saisons sont 4 concertos pour violon soliste, un par saison. Le genre aura après Vivaldi un succès immense: 27 concertos pour piano de Mozart, 5 concertos pour piano de Beethoven, Concertos pour violon de Beethoven, de Brahms…
A.Vivaldi dit «le prêtre roux»
c) Le concerto pour orchestre
* Depuis l’époque
romantique, le terme «concerto» était devenu exclusivement compris comme
«concerto pour soliste». Pour cette raison le titre Concerto pour orchestre donné par Bartók à son œuvre parait quelque
peu paradoxal. En réalité c’est un retour au genre du concerto grosso de
l’époque baroque.
* Bartók n’a pas inventé ce
terme. D’autres en ont écrit avant lui: Paul Hindemith (1925), ou son ami Zoltan
Kodaly (1939). Et le genre connaîtra un certain succès après Bartók également:
Eliott Carter (1969), Leonard Bernstein (1989) par exemple.
D - Le Concerto pour orchestre de Bartok,
généralités
* En 1944, Bartók est aux Etats-Unis depuis quelques années. Il fuit le
nazisme, fait face à des difficultés financières et il a le mal du pays
lorsqu’il compose son Concerto pour orchestre
en 1943. Donné en première audition l’année suivante à Boston sous la direction
du commanditaire Serge Koussevitzky, le succès est immédiat. Mais Bartók est à
cette époque à l’article de la mort, il confie à son médecin «La seule chose qui m’ennuie, c’est de partir
avec mes malles pleines jusqu’au bord»
* Le titre et l’écriture de cette œuvre font clairement allusion au
concerto grosso de l’époque baroque, dans lequel un orchestre dialogue avec un
groupe de solistes. Néanmoins, «il s’agit
beaucoup moins de créer un conflit post romantique que de mettre tour à tour
en valeur les timbres (…) dans un esprit point trop éloigné de celui du
concerto grosso de l’époque baroque». G.Denizeau
* Nomenclature de l’orchestre: 3 flûtes (dont piccolo), 3 hautbois
(dont cor anglais), 3 clarinettes (dont une clarinette basse), 2 bassons, un
contrebasson, 4 cors en fa, 3 trompettes en do, 3 trombones, 1 tuba, des
timbales, 2 harpes, violons, altos, violoncelles, contrebasses, percussions
(caisse claire, grosse caisse, tam-tam, cymbales, triangle)
* Une architecture générale en arche. Les cinq mouvements sont agencés de manière symétrique: le mouvement central, lent, (Elégie) est précédé et suivi de 2 mouvements assez courts faisant office de scherzos, eux-mêmes encadrés par les mouvements extrêmes, plus vastes et plus rapides. Bartók assure que les cinq mouvements de ce concerto suivent «une transition graduelle de l’austérité du premier mouvement (…) vers l’affirmation vitale du dernier»
I - Introduzione |
II - Giuoco delle coppie |
III - Elegia |
IV - Intermezzo interrotto |
V - Finale |
Orchestre complet Inspiré par le
folklore hongrois Caractère dansant après une introduction lente |
Partie A : 5 séquences (5 couples d’instruments
différents) Partie B : sorte de « choral » un peu
solennel où dominent les cuivres Partie A’ : retour un peu modifié des 5 couples Esprit de scherzo, Tempo modéré Caractère assez intimiste |
Travail sur le timbre
orchestral Lent Forme ABA’ Caractère général
angoissé et véhément |
Groupes de solistes Esprit de scherzo Tempo modéré Caractère assez
intimiste |
Orchestre complet Inspiré par le
folklore hongrois Caractère dansant,
voire endiablé |
*
Les mouvements 1, 4 et 5: «le
premier mouvement (…) est en grande partie occupé par un vigoureux Allegro qui
présente la puissance de l’orchestre au complet. (…) Le quatrième mouvement
alterne deux mélodies de style folklorique, interrompues par la clarinette qui
fait allusion à l’accord de la marche de la symphonie de Leningrad de
Chostakovitch (une des œuvres préférées de Koussevitsky
à cette époque). Le final débute sur un brillant moto perpetuo
jusqu’au moment où le solo de la trompette l’interrompt par un nouvel accord,
qui forme la base d’une fugue prolongée. Le moto perpetuo
revient après un mystérieux épisode tranquillo, allié
à l’accord de la trompette, et la musique s’intensifie en une apothéose
grandiose», Malcolm MacDonald, préface de la partition.
Maisons
traditionnelles hongroises
E - Analyse des 2e et 3èmes mouvements
2e mouvement: Giuoco delle coppie
(Jeux de couples) - Allegretto scherzando
* Le mouvement indiqué Allegretto scherzando fait référence au scherzo,
traditionnellement de caractère plaisantin et léger («badinage» dit Bartók à
propos de ce mouvement). Un scherzo est dans la musique romantique un mouvement
central (en 2e ou 3e position) très rapide à trois temps,
faisant suite au menuet de la symphonie classique et de la suite de danse à
l’époque baroque (3e mvt de la 3e
symphonie de Beethoven, 3e mvt du
quintette « La truite » de Schubert par exemple)
* La forme de ce mouvement est ABA’. La partie A fait entendre un dialogue entre des «couples» de mêmes instruments et les cordes qui les accompagnent. Ce dialogue fait clairement référence à l’esprit du concerto.
* Les couples se présentent dans la partie A à un intervalle particulier et différent à chaque couple: Les bassons à la 6te (mes 9), hautbois à la 3ce (mes 25), clarinettes à la 7e (mes 45), flûtes à la 5te (mes 60), trompettes à la 2nde (mes 90). A cause de ces harmonisations curieuses, l’œuvre reste certes tonale mais totalement envahie de dissonances.
* Chaque couple se voit confier un rythme de danse qui lui est propre. «Les mélodies du Concerto pour orchestre se nourrissent des connaissances approfondies de Bartók des musiques folkloriques, notamment des musiques hongroises, roumaines et serbo-croates. Ce ne sont cependant pas de véritables mélodies folkloriques mais des recréations qui, tout en conservant le style originel du folklore, s’adaptent au langage savant du compositeur» (P.Lalitte):
* A noter la partie des bassons mes 9 observe une carrure symétrique: 16 mesures réparties en 4 groupes de 4 dont le n°2 et le n°4 sont inversement symétriques quant à leur courbe mélodique.
* Les cordes
qui accompagnent les couples se placent sur un plan secondaire mais n’en
utilisent pas moins une batterie d’effet importante: pizzicatos, trilles,
imitations, harmoniques, sourdine, tremolos
* La partie B fait entendre un choral aux cuivres. Il n’y a plus
de dialogue avec les cordes. On dit «choral» en référence à l’écriture de ceux
des périodes anciennes comme dans
* La caisse claire se fait entendre au début et à la fin de la partie A, pendant toute la partie B en ponctuant les phrases du choral et à la toute fin de la partie A’. Elle maintient discrètement l’esprit de danse pendant le choral.
LE CHORAL CENTRAL:
* Les couples sont présentés différemment dans la partie A’. Ce sont
plutôt des «couples de couples». On retrouve les bassons et leur motif mes165,
les clarinettes reviennent en même temps que les hautbois, et sur le motif des
hautbois mes 181 tous à la 3ce, flûtes et clarinettes à la 7e sur le
motif des clarinettes mes 198, flûtes, hautbois et clarinettes sur le motif des
flûtes mes 212, clarinettes et trompettes sur le motif des trompettes à 228,
puis hautbois en plus à 241 et enfin tous à 253 dans une petite coda
résumant les intervalles caractéristiques de chaque couple.
* Cette coda est située mesure 255, on y
entend tous les couples en même temps, pourvus de leurs intervalles
caractéristiques respectifs:
* La dernière partie est également marquée par
les glissendis des harpes. Les cordes sont de plus en
plus divisées et les violons I et II font souvent des tremolos.
* En résumé, on peut faire la distinction entre les éléments populaires
et les éléments savants:
ELEMENTS POPULAIRES |
ELEMENTS SAVANTS |
* Mesure claire à 2/4 avec temps
forts/faibles bien sentis * Emprunt majoritaire de mélodies
folkloriques hongroises,
roumaines et serbo-croates * Caractère musical inséparable d’un esprit
dansant. |
* Nombreuses dissonances liées aux
intervalles
particuliers des couples * Une écriture assez contrapuntique * Des
pupitres individualisés ex: les divisions des pupitres de
cordes par 3 * Modes de jeu riches des cordes (pizz, glissando, pointes de
l’archet, trémolos, sourdines, harmoniques) * Grande virtuosité * Langage harmonique très riche et ambigu (modal,
polytonal, polymodal, tonal, atonal, gamme par tons (alto
mes 87). |
3e mouvement: Elegia - Andante,
con troppo
* Une élégie est un à l’origine un poème lyrique exprimant une plainte
douloureuse, ou/et des sentiments mélancoliques. Depuis
* Comme l’indique son titre, cette pièce élégiaque comporte «un thème grave et funèbre [qui] domine la pièce ainsi que les mille
frissons sonores d’une musique de nuit recréée avec une remarquable économie de
moyens» FR Tranchefort
dans le guide de la musique symphonique (éditions Fayard)
* On y trouve un caractère trouble, mystérieux mais aussi passionné et lyrique (parties centrales)
* Le caractère nocturne se trouve notamment entre les mesures 10 à 18, où le hautbois joue des notes longues autour des demis tons entourant la note si, évoquant un oiseau solitaire.
* L’orchestration est extrêmement travaillée et riche. L’effectif comporte
3 flûtes, 1 piccolo, 4 cors, 3 hautbois, 3 clarinettes, Timbales, 2 harpes,
Violons I et II, Altos, violoncelles, contrebasses, 3 bassons, 3 trompettes, 3
trombones, 1 tuba, Tam-Tam, Cor anglais
* On retrouve la liberté de Debussy, la présence d’un style populaire, une orchestration parfois proche de Ravel. Un
expressionnisme de Mahler (violons expressifs dans la 5e symphonie
par exemple) ou de Schönberg (dans
* A noter la présence du «mode de 6 sons»: do mib
mi sol lab si
(flûte 1 mesure 22 par exemple), alternant le ½ ton et le 1,5 ton
* Une dynamique générale très
contrastée, avec beaucoup d’écarts de nuances:
* L’Elégie reproduit en miniature la structure d’ensemble du
concerto en arche: 5 parties
.
|
Prélude |
Partie A |
Partie B |
Partie C |
Postlude |
||||
Mesures |
Mes 1 à 33 |
Mes 34 à 61 |
Mes 62 à 83 |
Mes 84 à 100 |
Mes 100 à 128 |
||||
Mes 1 à 9 |
Mes 10 à 22 |
Mes 22 à 33 |
Mes. 100 à 105 |
Mes. 106 à 111 |
Mes 112 à 128 |
||||
Indications de tempo |
Andante non troppo |
A tempo |
Poco agitato, mosso,molto rubato |
Tempo I |
Tempo I |
||||
Commentaires |
Motif aux cordes
graves rappelant le début du premier mouvement |
Musique nocturne avec glissendis
de harpe et tremolos de cordes |
Motif
contrapuntique sur «mode à 6 sons» ascendant et descendant |
Violons
«expressionnistes» à la manière de Mahler (5e symphonie) ou
Schönberg (Nuit transfigurée) |
Thème «transylvain»
aux altos puis aux bois (73) |
Très court motif en
contrepoint puis partie expressionniste aux violons |
Motif aux cordes
graves rappelant le début du premier mouvement |
Musique nocturne avec glissendis
de clarinettes et flùtes |
Coda calme,
évocation du motif en quartes |
SOURCES
Bartók:
Concerto pour orchestre. Préface de la partition par Malcolm MacDonald.
Editions Boosey & Hawkes, 1997
Cours de Nicolas Callens, professeur d’Education
musicale, académie de Lille, 2007
Conférence de Jean-François Zygel,
DVD
Béla Bartók: Concerto pour orchestre (1944),
2e et 3e mouvements, article de Gérard Denizeau dans l’Education musicale n°543-544 de mai-juin 2007, Hors-série Bac 2008
Bartók et la
musique populaire, article de Csilla Pethö dans l’Analyse musicale n°55 de septembre 2007, bac
2008.
Le Concerto
pour orchestre de Bartók: analyse des 2e et 3e
mouvements, article de Philippe Lalitte dans
l’Analyse musicale n°55 de septembre 2007, bac 2008.
Article Bartók
de François-René Tranchefort, Guide de la musique
symphonique, Ed. Fayard
Encarta 2002