THIERRY MACHUEL
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Ensemble d’œuvres
I - ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
II - MACHUEL ET
III - ENSEMBLE D’ŒUVRES - ANALYSE
I - ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
* Compositeur et pianiste français, né à
Paris en 1962, Thierry Machuel est imprégné dès son enfance par le chant choral
en participant à l'ensemble vocal que son père dirige.
* Compositeur reconnu (il reçoit des
commandes du ministère de la culture), il s’est spécialisé dans l’art choral, à
partir de textes essentiellement profanes, d’auteurs contemporains, dans des
langues très variées.
* Depuis une dizaine d’années, il
enseigne la composition pour chœur selon une méthode personnelle, basée à la
fois sur le choix rigoureux des textes, et leur étude approfondie, littéraire,
rythmique, sonore. Il fait partie de ceux qui ont le mieux contribué à ce que
soit reconnue la spécificité de l’écriture chorale en France, et que puissent
émerger de nouvelles générations de compositeurs attirés par cet art. Ses
œuvres chorales sont chantées dans de très nombreux pays.
* Au XXe siècle, des compositeurs avant
gardistes avaient inventé une musique vocale révolutionnaire: Lux aeterna (1966) de Ligeti, Sequenza III (1966) de Bério, Nuits (1967) de Xenakis, Stimmung (1968) de K. Stockhausen ou Récitations (1978) d’Aperghis où les références au
passé semblaient assez minces.
* Ce n’est pas le cas de Machuel qui
reste fortement influencé par des maîtres français du début du XXe siècle
notamment par Debussy, Ravel, Messiaen et surtout Poulenc.
* Thierry Machuel ne cherche pas à
proposer un langage musical révolutionnaire, comme les avant-gardistes le
souhaitaient, mais plutôt une expression nouvelle, proche des mots, puisant au
gré des textes. Rrien ne lui est interdit, il n'a pas de tabou sur le plan
musical. Sa musique est consonante quand elle le doit, dissonante s'il le faut,
pulsée si nécessaire, complexe par moment, ou limpide si le texte l'exige.
Grands compositeurs du XXe siècle (avec
une œuvre de référence)
Claude Debussy |
Maurice Ravel |
Igor Stravinsky Le sacre du
printemps |
Pierrot lunaire |
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Bela Bartok |
Francis Poulenc |
Olivier Messiaen |
Gyorgy Ligeti |
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Karlheinz
Stockhausen Klavierstücke
XI |
Iannis Xenakis |
Pierre Henry |
Pierre Boulez |
II - MACHUEL ET
A
- GENERALITES
* Il
accorde une grande importance à la transmission de la parole du poète, à ne pas
la dénaturer, et souhaite par sa mise en musique, la transfigurer.
* Machuel
utilise des textes d’auteurs contemporains français et étrangers, en de
nombreuses langues différentes, dans un esprit multiculturel et sensible à
toutes sortes de situations humaines de détresse: «Depuis le début des années 90, je me suis donc mis à lire avec
avidité la poésie la plus contemporaine, en commençant par les auteurs
français, puis en élargissant peu à peu mon champ d’investigation vers les
langues de pays proches, puis moins proches (...) La recherche que je mène
depuis une vingtaine d’années, à partir de la poésie contemporaine (…) dans
toutes les langues, fait apparaître peu à peu la possibilité d’un territoire
singulier pour le chant choral, (…) À cet égard, les poèmes d’Ossip
Mandelstam, de Paul Celan, de Langston Hughes, de Sophia de Mello Breyner ou
Antje Krog peuvent être considérés comme des témoignages précieux sur un
fragment douloureux de l’histoire de l’humanité, des goulags à l’apartheid, des
ghettos de Harlem à la résistance à toute dictature»
* Pour
Machuel, le sens du texte est primordial: «Je sais que seul un texte de grande intensité peut me motiver
(…) Très tôt dans la vie j’ai ressenti l’appel de la composition musicale, sans
que je puisse vraiment donner un point de départ à cette vocation. Le chant
choral ayant toujours été présent dans mon environnement, je m’y suis dédié
sans que cela m’apparaisse comme un choix. La question du texte, elle, est
arrivée plus tard. Ce fut d’abord un manque, un malaise inconscient, de devoir
parfois chanter des paroles sans intérêt. Puis, par ce manque, une curiosité, une
soif même, de trouver des œuvres dont les textes me parlent bien en-deçà du
chant, par l’urgence de ce qui est dit, la force, la saturation de Vérité,
plus que les rythmes, alexandrins, etc…
«Stimuler l’imagination sans l’image, avec les mots et les sons, voilà
qui est particulièrement adapté au projet choral»
* Le
rôle de la musique n’est pas pour autant secondaire: Toute ma recherche puise ainsi sa source, non seulement dans le sens du
texte, mais aussi dans ses différentes formes, notamment celle qui est la plus
proche de la musique, [dans] sa forme sonore. Je me sers pour cela d’un
enregistrement, soit du poète, soit d’un lecteur ou même d’un comédien, et
prends en dictée la voix parlée, dans différentes interprétations si possible
(…) Je cherche simplement à nouer avec le texte un lien suffisamment
étroit pour pouvoir créer une musique à la fois indépendante et proche, ayant
ses propres liens internes, et pourtant capable de produire, dans le choc avec les
mots, une étincelle».
* Sa
musique est marquée par des influences mondiales très diverses et aussi par la
musique chorale française du début du XXe siècle, notamment celle de Francis
Poulenc, caractérisée par un grand dépouillement (voir par exemple les Litanies à la vierge noire)
* Il
souhaite sortir le chœur des lieux habituels: «Faire sortir le chœur des lieux habituels, églises ou salles des
fêtes, refuser les postures, les tics, lui réapprendre même à marcher pour
entrer et sortir de scène, à se tenir face au public, à prendre la parole
autant que le chant, à franchir les frontières... »
Chœur de filles la radio télévision
estonienne
B – LES POETES UTILISES PAR MACHUEL DANS L’ENSEMBLE
D’ŒUVRES AU
PROGRAMME
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Langston Hughes (1902-1967), poète américain fortement impliqué
dans la reconnaissance d’une culture afro-américaine aux Etats-Unis dans les
années 1920 |
S-M, et Agustin F.A Poètes anonymes, prisonniers de la prison de
Clairvaux |
Mahmoud Darwich (1941-2008), grand poète palestinien. Ses poèmes
sont traduits dans plus de vingt langues et ont été maintes fois récompensés
par des prix littéraires. |
2 pièces
au programme: «Afraid» |
2 pièces
au programme: «Ces âmes, nos âmes» «Ez dut ahaztu»
|
Pièce au
programme: «Amal Waqti», extrait |
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Issa Kobayashi (1763-1828). Il est considéré comme l'un des quatre
maîtres classiques du haïku japonais
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Takuboku Ishikawa (1886- 1912). Surnommé «le Rimbaud japonais» et «le
poète de la tristesse» |
Pièce au
programme: «Kemuri»,
extrait |
Pièce au
programme: «Kemuri», extrait |
AUTRES POETES RENCONTRES DANS L’ŒUVRE DE MACHUEL
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Ossip Mandelstam (1891-1938), poète russe, victime de la dictature
de Staline |
Paul Celan (1920-1970), poète roumain de langue allemande, très marqué par le drame de l’holocauste |
Sophia de Mello Breyner (1919-2004), une des plus importantes poétesse
portugaise du XXe siècle |
Antje Krog (née en 1952), poétesse sud-africaine de langue anglaise et afrikaans, engagée dans la lutte contre l’apartheid |
III - ENSEMBLE D’ŒUVRES - ANALYSE
Sept pièces sont au programme, elles sont toutes issues de
différentes œuvres de Machuel:
DARK LIKE ME opus
18:
1 - AFRAID 2 - HOMESICK BLUES
PAROLES CONTRE L’OUBLI opus 57:
3 - CES ÂMES, NOS ÂMES
4 - EZ DUT AHAZTU
5 - AMAL WAQTI
pour
mezzo-soprano et cornet à bouquin
opus 61 [extrait]
6 - KEMURI opus 40
pour chœur d'enfants, ténor solo,
accordéon et gongs chromatiques
[extrait]
7 - LECONS DE TENEBRES
pour
quatuor à cordes opus 59
[extrait]
I - «AFRAID»
* Pièce extraite du cycle «Dark like me» Op.18, poème de Langston Hughes (USA, 1902-1967)
* Langston Hughes est un poète,
nouvelliste, dramaturge et éditorialiste américain. Sa renommée est due en
grande partie à son implication dans le mouvement culturel communément appelé
"Renaissance de Harlem" qui a secoué Harlem dans les années 1920. La
"Renaissance de Harlem" est un mouvement de renouveau de la culture
afro-américaine. Son berceau et son foyer se trouvent dans le quartier de
Harlem, à New-York. Cette effervescence s’étend à plusieurs domaines de la
création, les Arts comme la photographie, la musique ou la peinture, mais c’est
surtout la production littéraire qui s’affirme comme l’élément le plus
remarquable de cet épanouissement. Soutenue par des mécènes et une génération
d’écrivains talentueux, la "Renaissance de Harlem" marque un tournant
majeur dans la littérature noire américaine qui connaît une certaine
reconnaissance et une plus grande diffusion en dehors de l’élite noire
américaine. La littérature et la culture noires atteignent de tels sommets
durant cette période que certains désignent Harlem comme la «capitale mondiale
de la culture noire».
* Dark like me est un hommage à Billie Holiday, grande chanteuse
de Jazz (1915-1959), notamment
à travers la chanson Strange fruit composée en 1946 afin de
dénoncer les Necktie Party (les pendaisons) qui avaient lieu dans le Sud des
Etats Unis et auxquelles les blancs assistaient habillés sur leur 31. Cette
chanson fut offerte à Billie Holiday au cours de sa carrière, et rencontra un
immense succès lors de sa sortie. Dark
like me est donc une œuvre sur la condition des Noirs-Américains, au
début du XXe siècle construite comme une succession de courts tableaux.
Billie Holiday (1915-1959)
STRANGE FRUIT |
FRUIT ETRANGE |
Southern trees bear a strange
fruit, Blood on the leaves and blood
at the root Black bodies swinging in the
southern breeze Strange fruit hanging from
the poplar trees. |
Les arbres du Sud portent un fruit
étrange Du sang sur leurs feuilles et du sang
sur leurs racines Des corps noirs qui se balancent dans
la brise du Sud Un fruit étrange suspendu aux peupliers |
Pastoral scene of the gallant
south, The bulging eyes and the
twisted mouth, Scent of magnolias, sweet and
fresh, Then the sudden smell of
burning flesh. |
Scène pastorale du vaillant Sud Les yeux révulsés et la bouche déformée Le parfum des magnolias doux et
printanier Puis l'odeur soudaine de la chair qui
brûle |
Here is fruit for the crows
to pluck, For the rain to gather, for
the wind to suck, For the sun to rot, for the
trees to drop, Here is a strange and bitter
crop. |
Voici un fruit que les corbeaux
picorent Que la pluie fait pousser, que le vent
assèche Que le soleil fait mûrir, que l'arbre
fait tomber Voici une bien étrange et amère récolte
! |
* La pièce Afraid
traite de l’angoisse et de la solitude des populations noires déracinées:
AFRAID |
AVOIR PEUR |
We cry among the skyscrapers As our ancestors Cried among the palms in Because we are alone It is night And we're afraid |
Nous
pleurons parmi les gratte-ciels Ainsi que
nos ancêtres Pleuraient
parmi les palmiers de l'Afrique Parce que
nous sommes tout seuls, C'est la
nuit, Et nous
avons peur |
* Eléments musicaux:
- chœur à 6 voix couvrant toute la tessiture
- ce chœur chante a capella
- en homorythmie
- une pulsation peu décelable
- certaines voix (basses,
barytons, altos, mezzo-sopranos) tiennent la même note tout le temps (note
pédale) alors que les ténors et sopranos ont une partie mélodique.
II - «HOMESICK BLUES»
* Tout comme Afraid, cette pièce
est extraite de «Dark like me»
*
La pièce Homesick blues traite du
mal du pays, du désir de retourner vers un sud idyllique:
HOMESICK BLUES |
LE BLUES DU
MAL DU PAYS |
De railroad bridge's A sad song in the air. De railroad bridge's A sad song in the air. de trains pass I wants to go somewhere. I went down to de station. Ma heart was in ma mouth. Went down to de station. Heart was in ma mouth. Lookin' for a box car To roll me to de south. Homesick blues, Lawd, 'S a terrible thing to have. Homesick blues is A terrible thing to have. To keep from cryin' I opens ma mouth an' laughs. |
Le pont du
chemin de fer C'est une
chanson triste dans les airs. Le pont du
chemin de fer C'est une
chanson triste dans les airs. Chaque fois
qu'un train passe J'veux m'en
aller vers d'autres terres. J'descendis
jusqu'à la gare Le coeur
sur les lèvres. Descendis
jusqu'à la gare Le coeur
sur les lèvres. Cherchant
un wagon de marchandises Pour me
rouler vers le Sud, quelque part. Le blues du
pays, Seigneur, C'est
terrible de l'avoir pris. Le blues du
pays, c'est une chose Terrible de
l'avoir pris. Pour
m'empêcher de pleurer J'ouvre la
bouche, et puis je ris. |
* Pour la musique, Machuel explique
avoir été inspiré par les secousses d’un train: «Le magnifique poème
Homesick blues m’a semblé tellement en réponse d’Afraid, que je me souviens
avoir composé l’ensemble de la polyphonie très rapidement, sans me poser de
questions … dans le métro parisien. J’ai été porté par le texte comme rarement,
et l’idée du contrepoint en imitation du train – du temps ? – qui passe m’est
venue physiquement, par les secousses ressenties entre les stations, et les
images qui défilent à des vitesses différentes selon que le regard se pose sur
le proche ou le lointain»
* Eléments musicaux:
- chœur à 6 voix couvrant toute la tessiture
- ce chœur chante a capella
- un ostinato rythmique (noire croche) évoque le rythme dansant du jazz
- L’ensemble progresse en
crescendo avec les voix s’additionnant les unes aux autres.
III - «CES ÂMES, NOS ÂMES»
* Extrait de «Paroles contre l’oubli» Op.57, pour chœur de chambre à
voix mixtes, poème de S-M, prisonnier anonyme de la prison de Clairvaux
* Dans cette œuvre, Machuel s’est livré à une démarche originale en
animant des ateliers d’écriture poétique dans la prison de Clairvaux avec des
détenus purgeant de longues peines. C’est un détenu qui est l’auteur du
texte de cette pièce,
* Clairvaux, ancienne commune située dans l’Aube (aujourd’hui
Ville-sous-la-Ferté) est aussi connue pour son abbaye fondée par Bernard de
Clairvaux en 1115. Ce dernier fonda l’ordre monastique des cisterciens: ce sont
des moines qui vivent dans l’isolement de la société. Ce monastère est devenu
une prison après
Clairvaux est situé dans le département
de l’Aube, en Champagne-Ardennes
Abbaye de Clairvaux en 1472
Prison actuelle de Clairvaux
CES AMES
NOS AMES |
Ces âmes, nos âmes, nourries dès l’apparition du
jour jusqu’au recouvrement nocturne, de ce que les
illusions servent par désir de quelque chose qui s’émiette et
se poussiérise, n’apaise jamais et a faim de néant. Voisines au cours des repas aux couverts argentés d’orgueil, des sœurs macabres qui leur parlent par intermittence l’idiome des mirages et celui de
l’éphémère. Vagues, hallucinées par les rêveries d’un destin
peint de la fluorescence des poésies déclamées dans les vallées
de l’égarement ... Elles auraient glissé avec fluidité et sans
obstacle, enveloppées d’une sensation de tendresse doucement mensongère, vers la demeure de l’oubli et de la perdition... Etape ultime, franchissement irréversible, gouffre
des naufragés ... emportant le souvenir de leurs
passages et de leurs œuvres désertiques, cailloutés de passions
qui pèsent sur le profond et interminable enfoncement
dans une mémoire qui ne parlera qu’autour d’une balance dressée. Nul pour percevoir dans l’intérieur de
leurs habitacles corporels, des cœurs cernés, enchaînés, cadenassés et scellés jusqu’à ce que toute formule prétentieusement magicienne ne puisse briser le moindre maillon… Des âmes, des hommes qui courent sur le tracé d’un chemin… |
* Caractéristiques musicales
- Utilisation de la voix parlée, chuchotée, chantée,
imitant le vent
- Écriture imitative proche du canon ou de la fugue*
- Effet rythmique important du fait de l’indication
"très articulé",
- Mise en valeur de la phrase répétée « ces âmes… »
(écrite en caractères plus gros),
- Jeux de synchronisation et désynchronisation des
voix entre elles
- Effets de puissance lors des tutti homorythmiques
(qui servent de transitions)
* FUGUE: pièce polyphonique (à
plusieurs voix) fondée sur le principe de l’imitation*. Le thème de la fugue
(appelé sujet) est d’abord exposé seul à une voix puis successivement aux
autres voix. Viennent ensuite plusieurs épisodes appelés divertissements. Fugues de Bach (1685-1750).
T.Machuel explique:
* «Il
s’agit d’une fugue en voix parlée, non déclamée, avec un dire sobre et
retenu, dans laquelle une battue à quatre temps permet de se repérer sans
imposer quelque pulsation que ce soit. Il n’y a donc pas de rythme ou même de
pulsation au sens solfégique du terme. En revanche, les mots et les phrases
sont inscrits sur les portées de sorte que l’on sache comment coordonner les 4
voix entre elles. Cela est très important, car tout le travail d’écriture
repose sur cette coordination: en effet, les voix ne commencent pas toutes au
même moment, puisque les entrées se succèdent comme dans n’importe quelle
fugue, ce qui fait que chacune a une longueur différente : la voix qui entre la
première a plus à dire que celle qui entre en deuxième et ainsi de suite»
* «Cela
représentait pour moi un très long travail de réécriture du texte, ajusté
différemment à chaque voix, de telle sorte que celles-ci par moments
s’éloignent totalement les unes des autres, et à d’autres moments au contraire,
se rapprochent petit à petit jusqu’à dire les mêmes mots ensemble (« vers la
demeure de l’oubli et de la perdition », ou encore « autour d’une balance
dressée »). Un peu comme des trains se déplaçant à des vitesses différentes,
avec parfois des variations de ces vitesses qui les amènent à rouler soudain de
manière parfaitement synchrone»
* «Une
courte mélopée est entendue au centre : il s’agit d’une citation abrégée du
thème que j’avais composé
dans le style grégorien pour les
Nocturnes de Clairvaux» Le style
grégorien veut dire proche du chant grégorien.
Le chant grégorien est un chanté par un
chœur de moines qui chantent tous une même mélodie sur un texte religieux, sans
accompagnement instrumental. C’est la première musique chrétienne écrite
(depuis le VIIIe siècle). On dit aussi le Plain-chant. Parce qu’il
s’agit d’une seule et même mélodie chantée par un groupe, sans accompagnement
instrumental. On l’appelle grégorien parce que c’est un pape, Grégoire le Grand
(mort en 604) qui compila tous les chants utilisés à l’époque pour qu’il n’y
ait qu’une seule liturgie dans tout l’empire carolingien.
*
Machuel utilise dans cette mélodie le second mode à transposition limitée, ce
qui lui donne un caractère légèrement oriental. (Le mode à transposition
limitée, répertorié par le compositeur Olivier Messiaen ne peut être transposé
qu'un nombre limité de fois, avant de redevenir identique à lui-même. Le mode
n°2 est le mode « ½ ton/ton»). En clair l’utilisation d’un certain mode donne une couleur particulière à
une mélodie. Il peut évoquer des aires géographiques et des cultures variées
(mode oriental, asiatique, espagnol…).
MODE: Suite de notes hiérarchisées, bâtie à partir d’une tonique. Les modes
se différencient par l’ordre des tons et demi tons entre les degrés.
IV - «EZ DUT AHAZTU»
* Extrait de «Paroles contre l’oubli» Op.57, pour chœur de chambre à
voix mixtes, poème de Agustin F.A, prisonnier anonyme de la prison de Clairvaux
* Un prisonnier basque écrit le texte sur le
souvenir et l’identité (pour mémoire le conflit basque oppose depuis des
dizaines d’années les indépendantistes d’un côté et les gouvernements français
et espagnols de l’autre. De nombreux attentats et assassinats se sont produits)
* T.Machuel explique: «Après les années d’emprisonnement, la perte
de liens sociaux, la misère carcérale, cet attachement à l’idéal revêt une tout
autre ampleur. Il y a du cri dans ce texte, quelque chose de l’ordre de la
profession de foi, qui appelle l’hymne, au sens religieux du terme. Tout en
sachant ce que le peuple basque a pu souffrir à travers ces luttes fratricides,
on ne peut s’empêcher de reconnaître au texte d’Agustin F.A. une portée
universelle, tant les mots qu’il emploie sont du langage commun : « ceux qui
sont tombés dans le chemin » peuvent s’y reconnaître, de tous combats et de
toutes causes»
EZ DUT AHAZTU |
JE N’AI PAS
OUBLIE |
Ez dut ahaztu neure
nortasuna, Diedanei maitasuna Noiz eta zergatik hona
iritsi nintzen, Nondik nentorren ezta nora joan nahi dudan ; Nor daukadan bidelagun ezta nork traba egiten didan Bidean erori eta gogoan daramatzadanak. Ezta eurei eskeiniko diedala askatasunez beteriko egun gorri hura. Ahantzi ezkero: ez nintzateke ni ! (Augustin F.A.) |
Je n’ai pas oublié mon identité Je n’oublie pas l’amour des autres Quand et pourquoi je suis arrivé ici D’où je viens et où je veux aller Qui j’ai pour ami dans le chemin Et qui m’empêche Je porte dans mon souvenir Ceux qui sont tombés dans le chemin À eux j’offrirai la liberté Quand viendra ce jour rouge. Si j’oubliais cela, je ne serais plus moi. |
Pays basque, à cheval entre
* Caractéristiques musicales
- Utilisation
d’une mesure à 5 temps inspirée de la musique traditionelle basque (du Zortziko notamment)
-
Longue progression dynamique
-
Thème modal
- Percussions
avec les pieds des chanteurs comme une sorte de marche funèbre inexorable et
obsessionnelle
- Beaucoup
de répétitions comme pour souligner le caractère monotone de la vie carcérale
V - «AMAL WAQTI»
* Œuvre pour mezzo-soprano et cornet à
bouquin opus 61, sur des textes en arabe
(Palestine) de Mahmoud Darwich (1941-2008)
* Les textes utilisés par T. Machuel,
pour Amal Waqti, sont extraits d’un recueil de poèmes intitulé «Etat de siège»
où Mahmoud Darwich décrit une assignation à résidence, un enfermement. Les
textes sont très forts mais sans haine, Mahmoud Darwich décrit et analyse la
situation de manière lucide
* Ce texte de Darwich «cherche à capter en une centaine de
fragments des choses vues ou entendues à Ramallah en 2002, lors de l’offensive
de l’armée israélienne contre le territoire palestinien autonome. Cela
explique l’aspect photographique de ces courts poèmes, tout comme l’impact
qu’ils provoquent sur le lecteur. Peu de mots, et une vérité, tranchante comme
une lame effilée, affrontant l’indicible»
T.Machuel
* Pour mémoire le conflit palestinien
oppose l’état d’Israël (créé en 1947) et les territoires palestiniens principalement
pour des questions de souveraineté territoriale.
AMAL WAQTI |
Nos tasses de café Les oiseaux Les arbres verts Aux ombrages bleus et le soleil qui saute d’un Mur à l’autre telle la gazelle L’eau des nuages aux formes infinies Dans ce qui nous reste de ciel Et d’autres choses encore Dont le souvenir est remis à plus tard Montrent que ce matin est fort, resplendissant Et que nous sommes les hôtes de l’éternité |
* «Ce
texte exprime la liberté intérieure enfin reconquise, la possibilité de
ressentir hors de la haine et des contraintes de l’occupation politique: les
sens nous rapportent toujours des échos du monde, le goût du café, le chant des
oiseaux, les arbres, les nuages et surtout la lumière du soleil qui se lève»
(T.Machuel)
* Un mode particulièrement évocateur de
la musique orientale est utilisé, donnant à l’ensemble un style orientalisant
* Après une introduction de cornet
seul, voix et celui-ci se répondent sans cesse, en un jeu serré d’imitations et
d’ornementations.
* Une pulsation très perceptible
pendant l'introduction, puis se perd progressivement: apparaît alors un sentiment
de liberté et d'improvisation
* Le cornet à bouquin est un instrument
généralement en bois. L'étymologie pour "bouquin" de l'italien
"bocca" (bouche) pour embouchure est souvent invoquée. Le cornet à
bouquin est fabriqué à partir de deux planches creusées au centre puis collées,
suivant une forme conique et courbe, le tout recouvert de parchemin ou de cuir,
et percé de sept trous, six devant, un derrière.
* Cet instrument possède un répertoire
très riche. Ses moments les plus féconds se situent entre la fin du XVIe
siècle et le milieu du XVIIe, principalement en Italie du Nord et en Allemagne.
À
Cornets à bouquin
Cornets à bouquin, Cité de la musique à
Paris
VI - «KEMURI» (fumées)
*
Œuvre pour chœur d'enfants, ténor solo, accordéon et gongs chromatiques,
opus 40
* L’œuvre, composée de 24 poèmes
symbolisant les heures du jour, comporte deux types de poèmes:
Haïkus
et Tankas.
Les Haïkus
-
évoquent le passage des saisons du printemps au dégel
- sont
confiés uniquement au chœur d’enfants
- sont
écrits par Issa Kobayashi, poète japonais (1763- 1828)
Les Tankas
- expriment
le cheminement intérieur du poète
- Ils
sont chantés par le ténor solo sur des textes de Takuboku Ishikawa (1886-1912).
KEMURI
(extraits) |
Sois donc rassuré les fleurs aussi qui
voltigent prennent ce chemin Les rêves de ma femme n’étaient
autrefois que de musique aujourd’hui elle ne chante plus Pas chose facile d’être né homme
ici-bas crépuscule d’automne Une fois encore si j’entendais cette
voix totalement alors ma poitrine s’allégerait Tellement amaigri ton corps ne semble
plus qu’un bloc de révolte |
* Caractéristiques musicales:
- Le chœur commente les interventions
du ténor démarrant toujours d’un
unisson qui se déploie en éventail jusqu’au cluster (grappe de sons) pour
retourner à l’unisson.
CLUSTER: de l’anglais «grappe sonore» C’est un
ensemble de notes proches, toutes jouées en même temps. Ensemble très
dense de notes plaquées à la main ou au coude sur un piano, par exemple.
Thrènes à la mémoire des victimes d’Hiroshima de Penderecki (né en 1933)
- Utilisation de gongs et de tam-tam
pour donner une couleur asiatique. A propos des gongs, T.Machuel explique:
«En dernier lieu, les gongs chromatiques
sont ici comme une couleur forte, tant leur usage est rare, réservé à
l’orchestre en raison de leur encombrement. Il s’agit de gongs européens (et
non Thaïlandais) dont le temps de résonance est particulièrement long. Leur
accord a donné lieu à une séance mémorable avec les enfants, car le seul moyen
de varier la hauteur sans abîmer le métal est de coller un chewing-gum au
centre du gong … la couleur magnifique de ces instruments se marie extrêmement
bien avec l’accordéon, qui semble souvent émaner de leurs résonances»
Un gong et un tam-tam
- Harmonie utilisant des couleurs
tonales et modales
- Utilisation de la voix de falsetto
(voix de tête) au tenor en référence au théâtre Nô et au Kabuki japonais où
cette voix est souvent utilisée
VII - «LECONS DE TENEBRES», extraits.
* Œuvre pour trio à cordes opus 59. Il
s’agit donc d’une musique purement instrumentale, au contraire de tous les
autres extraits au programme. L’extrait à étudier est en réalité formé de
deux extraits: de la mesure 1 à 31 et un 2e de la mesure 120 à la
fin
* Les leçons de Ténèbres sont un genre
musical liturgique créé en France au XVIIe siècle. L'office porte le nom de
ténèbres puisqu'il est chanté normalement très tôt le matin dans l'obscurité
plus ou moins complète. Cet office dure entre 1h30 et 2h45 et raconte les
douleurs de
Extinction des bougies
Le nouveau né de Georges de
* Machuel, en résidence à Clairvaux
(voir «Ces âmes nos âmes» et «Ez dut ahaztu») explique: «La double identité de ce lieu chargé
d’histoire, monastère d’abord puis prison, m’a inspiré le projet: des Leçons de
Ténèbres sans texte ni référence religieuse, exprimant la révolte des
détenus autant que leurs appels intérieurs, rendre compte par la musique
d’images qui me restent de la traversée des grilles et des murs, dont certains
appartiennent encore à l’ancienne abbaye, comme un appareillage de pierre et de
béton mêlés»
* Machuel associe trois éléments de la vie réelle à
des événements purement musicaux:
-
La formation du trio à cordes marquée par deux accords du début comportant
le total chromatique des sons existants dans la gamme occidentale.
- La prison, symbolisée par une série
de 12 notes «jouées chacune deux fois
par un effet de rebond, à la manière du son produit par les serrures
électroniques dont le tintement a remplacé celui des clefs métalliques»
Série de 12
notes (de la mesure 17 à 25) exploitant le total chromatique
- L’abbaye enfin, «avec un schéma temporel extrêmement strict
(comme
* La mesure est à cinq temps qui
donne un sentiment d'insécurité, d'instabilité, qui suggère une «respiration inquiète»
* On trouve une forme en miroir entre
deux parties dont la première représente l’univers carcéral et la deuxième la
lumière. «La forme est en miroir
temporel: dernière section en inversion de la première, le grave du début se
concluant sur l’extrême aigu des accords de la fin. Il y a donc dans le trio
comme deux figures inversées, l’une dans l’ombre carcérale (début, mesures 1 à 14) et l’autre dans la
lumière (fin, mesures 131 à 144)»
* On a ici un exemple d’écriture
totalement atonale, rappelant en cela certaines œuvres d’Arnold Schönberg
(1874-1951) qui fut le premier à utiliser une telle écriture.
SOURCES
Eléments de cours de Thibaut
Capelle www.musique-orsay.fr
Eléments de cours de Patrick
Murillo, Académie de Bordeaux
L’Education musicale, Bac
2013
L’Analyse musicale, Bac 2013