«MISERERE» EXTRAIT DE
L’OPERA «LE TROUVERE»
DE GIUSEPPE VERDI (1813-1901)
ADAPTE AU PIANO PAR FRANZ LISZT (1811-1886)
I - ELEMENTS BIOGRAPHIQUES DE VERDI ET LISZT
II - «IL TROVATORE» (LE
TROUVERE): ARGUMENT ET SCENE DU MISERERE
III - COMPARAISON DES DEUX VERSIONS
I - ELEMENTS BIOGRAPHIQUES DE VERDI
ET LISZT
A - GIUSEPPE VERDI
* Compositeur italien né
en 1813 et mort en 1901, c’est un des plus grands compositeurs d’opéras. Son
enterrement est suivi par près de 300.000 personnes
* Né à une époque et dans une région
dominée par les autrichiens, Verdi associera son œuvre au message politique de
l’indépendance et de l’unité italienne qui finira par triompher
* Très marqué par le drame personnel de
la mort de ses deux enfants et de son épouse lorsqu’il n’a que 28 ans, il
consacrera toute sa vie à la composition d’opéras, dont son premier grand
succès est Nabucco
* L’opéra Nabbuco retrace le parcours des
esclaves hébreux sous la domination de Nabuchodonosor, roi de Babylone (ville aujourd’hui
située au centre de l’Irak) au VIe siècle avant JC. Le célèbre hymne Va pensiero
chanté par les esclaves dans cet opéra symbolisait également les italiens
souhaitant se défaire du joug autrichien sur Milan. Ce chœur d’esclaves est
aujourd’hui considéré comme le second hymne national italien tant sa portée
était forte. Voilà une des raisons pour lesquelles Verdi est très associé au
mouvement pour l’indépendance de l’Italie au XIX siècle. Le roi d’Italie
Vittorio Emmanuel, lui aussi évidemment favorable à l’indépendance italienne
verra son nom couplé à celui de Verdi pour devenir l’acronyme VERDI (Vittorio
Emmanuel Rei D’Italia).
Ainsi le nom même de Verdi devient un symbole politique.
* Ses opéras les plus connus: Nabucco, Il Trovatore, Rigoletto,
Giuseppe
Verdi et le théâtre de
B - FRANZ LISZT
* Né en 1811à Doborjan
en Hongrie (aujourd’hui Raiding en Autriche, à la
limite de
* Enfant prodige (présenté à Beethoven
quand il avait une dizaine d’années), il fait le tour des capitales européennes
(Londres, Berlin, Paris, Vienne…) accompagné de son père. C’est un pianiste et
compositeur hongrois célébrissime à son époque, caractérisé par son jeu
extrêmement virtuose, son envergure européenne, sa vie mondaine, son engagement
auprès de ses contemporains qu’il fait connaître en jouant leurs œuvres (Chopin
dira de lui «Je voudrais lui voler la
façon dont il joue mes études»). Il se consacrera davantage à la
composition dans la deuxième partie de sa vie
* Personnage d’envergure européenne, il
fréquente les cercles intellectuels et littéraires de son époque: Victor Hugo,
Eugène Delacroix, Alfred de Musset, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Gustave
Flaubert, George Sand… mais sait aussi faire des concerts gratuits et
humanitaires pour récolter des fonds, pas seulement dans des salles
prestigieuses mais aussi pour des concerts en plein air, pour des paysans… ce
n’est pas un homme de classe sociale. C’est une véritable rock star de
l’époque, les femmes déchirent ses vêtements, ramassent le mégot de cigare
qu’il vient de jeter…
Une matinée
chez Liszt, par J.Danhauser. On y voit
Victor Hugo,
Paganini, Rossini, Dumas, George Sand, Comtesse d'Agoult admirant tous le
portrait de Beethoven à droite
* Marié à la comtesse Marie d’Agoult, il
aura trois enfants dont Cosima, future épouse de
Richard Wagner. Le couple Liszt/d’Agoult vit des années heureuses en Italie
avant de se séparer dans les années 1840. «Il
était un navire, elle était une ancre, elle avait voulu l’avoir pour elle
seule, il appartenait au monde» Gonzague St Brice
* Après cette séparation il s’installe à Weimar en
Allemagne où il sera maître de chapelle.
* Vers la fin de sa vie, il se rapproche
d’une vie de plus en plus mystique, sans toutefois devenir prêtre, il porte la
soutane. Des œuvres en témoignent: St
François de Paule marchant sur les flots, Bénédiction de Dieu dans la solitude…
* Son œuvre est composée de beaucoup
d’œuvres pour piano: les cycles des Années
de pèlerinage en Suisse et en Italie, contenant de nombreuses pièces
souvenirs de ses voyages (Après une
lecture de Dante, Les jeux d’eau à la villa d’Este), sa magistrale Sonate en si mineur, véritable monument
de la littérature pour piano, ses Rhapsodies
hongroises, ses Etudes d’exécution
transcendantale
* Une œuvre orchestrale abondante
également: des poèmes symphoniques Mazeppa,
Les Préludes, deux concertos pour piano
* Son œuvre pour piano compte également
beaucoup de transcriptions et d’arrangements, souvent pour faire connaître les
œuvres en réduction au piano (symphonies de Beethoven, Symphonie fantastique de
Berlioz), ou pour en composer des fantaisies librement inspirées d’opéras: Réminiscences de Don Juan (d’après Don
Giovanni de Mozart), Erlkönig
de Schubert, Rigoletto paraphrase de concert (d’après Rigoletto de Verdi) et donc le Miserere issu du Trouvère de Verdi
Marie d’Agoult en 1843 Caricature
de Liszt
II - «IL TROVATORE» (LE TROUVERE): ARGUMENT ET
SCENE DU MISERERE
A - IL TROVATORE (LE
TROUVERE)
* Opéra en quatre actes
de Verdi, sur un livret de Salvatore Cammarano et Emmanuele Bardare d’après le
drame espagnol d’Antonio Garcia Gutierrez, créé à
Rome en 1853. il connut un popularité fulgurante, on
ne compte pas moins de 229 représentations à travers le monde suivant les trois
années de sa création.
* L’action se situe en
Espagne au XVe siècle. Personnages principaux: Conte di Luna, Manrico (le trouvère), Leonora,
Azucena
* Argument très résumé: c’est l’histoire
du Conte di Luna qui tue son rival amoureux (le Trouvère) croyant être le fils
d’une sorcière qui aurait tué son propre frère. A la fin la méprise est
découverte, car il tue en réalité son propre frère, rassasiant de vengeance la
sorcière.
* Un peu plus en détail, et placement de la scène du
Miserere:
- Leonora est fiancée du
Conte Di Luna mais son amour va vers Manrico le trouvère.
- Le conte di Luna
pense avoir perdu son frère étant enfant à cause du sort d’une sorcière. En
réalité celui-ci a été élevé par la sorcière, celle-ci croyant que c’était son
propre fils et celui-ci croyant que c’est sa véritable mère. Le Conte di Luna
veut tuer la sorcière par vengeance.
- Au moment du Miserere,
Manrico est fait prisonnier. Leonora
se retire au couvent, voyant son amour impossible à réaliser. Tout en écoutant les plaintes du chœur de
moines, Leonora chante son désespoir alors que Manrico chante lui aussi, enfermé dans une tour.
- Leonora
se suicide voulant échapper à son union avec le conte. Celui-ci tue Manrico son rival amoureux et fils présumé de la sorcière.
En réalité il vient de tuer son propre frère.
FRATI
(dall’interno) Miserere d’un alma già vicina alla partenza che non ha ritorno. Miserere di lei, bontà divina, preda non sia dell’infernal soggiorno LEONORA Quel suon, quelle preci Solenni, funeste, empiron quest’aere di cupo terror ! Contende l’ambascia, che tutta m’investe, al labbro il respiro, i palpiti al cor ! MANRICO
(dalla torre) Ah ! Che la morte ognora E tarda nel venir, a chi desia morir ! Addio, addio Leonora, addio ! LEONORA Oh ciel ! Sento mancarmi ! |
LES MOINES (de l’intérieur) Miserere pour une âme qui s’approche Du départ sans retour, Miserere pour elle, divine Bonté Qu’elle ne soit point la proie de l’infernal séjour LEONORA Cette musique, ces prières Solennelles et funestes Emplissent l’air D’une obscure terreur ! L’angoisse qui étreint Tout mon être Dispute mon souffle à mes lèvres, Ses battements, à mon cœur MANRICO (de la tour) Ah, que la mort à présent Tarde à venir Pour celui qui désire mourir ! Adieu, adieu, Leonora ! LEONORA Oh ciel ! Je me sens défaillir ! |
FRATI
(dall’interno) Miserere d’un alma già vicina alla partenza che non ha ritorno. Miserere di lei, bontà divina, preda non sia dell’infernal soggiorno LEONORA Sull’orrida torre, ahi ! Par
che la morte con ali di tenebre librando si va ! Ahi !
Forse dischiuse Gli fian queste porte Sol quando cadaver Già freddo sarà ! MANRICO Sconto col sangue mio L’amor che posi in te ! Non ti scordar Non ti scordar di me, addio Leonora, addio ! LEONORA Di te, di te, scordarmi di te ! Sento mancarmi ! Tu vedrai che amore in terra Mai del mio no fu più forte Vinse il fato in aspra guerra Vincerà la stessa morte. O col prezzo di mia vita La tua vita salverò, o con te per sempre unita nella tomba scenderò ! |
LES MOINES (de l’intérieur) Miserere pour une âme qui s’approche Du départ sans retour, Miserere pour elle, divine Bonté Qu’elle ne soit point la proie de l’infernal séjour LEONORA Au dessus de l’horrible tour Ah, que l’on dirait que la mort Plane sus ses ailes De ténèbres ! Ah, ces portes, peut-être, Ne s’ouvriront pour lui Que lorsqu’il ne sera plus Qu’un cadavre glacé ! MANRICO Je paye de mon sang L’amour que je mis en toi ! Ne m’oublie pas, Ne m’oublie pas, Adieu, adieu, Leonora ! LEONORA T’oublier !
T’oublier ! Ah, je me sens défaillir ! Tu verras que nul amour sur terre Ne fut plus fort que le mien Il vainquit le destin dans une dure guerre, Il vaincra même la mort Au prix de ma vie Je sauverai la tienne Ou bien, unie à toi pour toujours, Je descendrai dans la tombe. |
III - COMPARAISON DES DEUX VERSIONS
*
La version de Verdi est écrite pour un grand orchestre symphonique, celle de
Liszt pour piano
VERSION VERDI |
Miserere (mes 1 à 10) |
Leonora: «Quel suon, quelle preci» (mes 10 à 19) |
Manrico: «Ah ! Che la morte ognora» (mes 19 à 26) |
Chœur a capella, recto tono
homorythmique, atmosphère religieuse campanelle, chant grégorien |
Entrée de tout l’effectif orchestral
au complet. Rythme serré (doublement pointé), mode mineur, stress, angoisse,
figuralisme des triolets sur «i palpiti al cor!» évoquant
l’halètement et les palpitations du personnage |
Tout en contraste avec l’épisode précédent: thème en
majeur, orchestre se tait pour ne faire place qu’à la harpe, accompagnement
régulier en triolets souples mettant en valeur la ligne mélodique du chant |
|
VERSION LISZT |
Miserere (mes 1 à 11) |
Thème Leonora (mes 11 à 21) |
Thème de Manrico (mes 22 à 29) |
Liszt privilégie le registre du grave extrême |
Les deux versions sont relativement identiques, le
motif homorythmique de l’orchestre reste cependant confiné au registre grave |
Le rythme de l’accompagnement est le même, cependant
Liszt utilise un registre étendu. |
VERSION VERDI |
Miserere (mes 26 à 35) |
Miserere + Leonora: «Sull’orrida torre» (mes 35 à 44) |
Manrico: «Sconto col sangue mio» (mes 44 à 51) |
|
Miserere + Leonora + Manrico (mes 51 à 61) |
Retour du Miserere |
Retour de Leonora et
Miserere qui continue en même temps |
Mêmes caractéristiques qu’aux mes 19-26 |
|
Duo Leonora et Manrico avec les deux rythmes d’accompagnement en même
temps et Miserere également |
|
VERSION LISZT |
Miserere (mes 29 à 38) |
Thème de Leonora (mes 38 à 50) |
Thème de Manrico (mes 51 à 58) |
|
Nouveau thème de Leonora (mes 61 à fin) |
Liszt rajoute un accompagnement de tierces dans le
grave renforçant l’aspect lugubre du chœur, présence de trémolos |
Gammes chromatiques ascendantes et descendantes chez
Liszt donnant un effet de grondements menaçants |
Modification du rythme de l’accompagnement, registre
toujours étendu |
58 à 60 Petite cadence typiquement pianistique |
Partie la plus lisztienne, virtuosité, développement
autour du nouveau thème de Leonora, traits
typiquement pianistiques |
En conclusion, la version de Liszt:
* Garde
les mêmes thèmes et la même structure générale en deux parties symétriques
* Lors de la 2e partie, Liszt
commence à se donner quelques libertés:
- Tremolos dans le grave au 2e
Miserere
- Gammes chromatiques ascendantes et
descendantes dans le grave à la 2e intervention de Leonora
- Accompagnement rythmique plus vivant à
la 2e intervention de Manrico
* Mais c’est surtout le final qui fait
vraiment la différence entre les deux versions. Liszt transforme peu à peu la
pièce originale en une pièce de bravoure mettant le pianiste de plus en plus en
valeur par la partie finale, comportant des motifs totalement nouveaux et des
traits typiquement pianistiques: gammes, arpèges, octaves dans une virtuosité
vertigineuse.
Liszt adulé par ses auditeurs
Trois âges
de la vie de Liszt