Ludwig von BEETHOVEN (1770-1827)

 

Sonate pour piano  n°23 Op.57 en fa mineur « Appassionata » (1805-06)

 

1-  Allegro assai

2-  Andante con moto

3-  Allegro ma non troppo - Presto

 

 

       A la question:  «Quel est le sens de la sonate Op.57 ?», Beethoven aurait répondu:  «Lisez la Tempête de Shakespeare». Romain Rolland commentera plus tard: «Quelle est la Stimmung générale de la tempête ?  le déchaînement des forces élémentaires, passions, folies des hommes et des éléments. Et la domination de l’Esprit... Mais n’est-ce pas justement la définition de l’art beethovénien à cette époque de maturité ?». 

 

Pas de répétition de l’exposition (rare chez Beethoven)

 

Esquisse du thème du destin de la 5e symphonie (1808-09)

 

Après l’Appasionata, pas de sonate pour piano avant 1809, pour la 24e: elle marque une étape.

 

Beethoven estimait cette sonate comme une de ses plus grandes.

 

 

      Cet immense chef d’œuvre des plus connus – et à juste titre –  était considéré par Beethoven lui-même comme une de ses plus grandes réussites. Avec la cinquième symphonie, la sonate «au clair de lune» ou les trois derniers concertos pour piano, la sonate dite «Appassionata» est l’expression du plus pur Beethoven, pris entre les vertiges de l’acharnement passionnel et de la maîtrise visionnaire d’un compositeur de génie: «un torrent dans un lit de granit» disait Romain Rolland à propos de cette sonate. Rappelons la relation très étroite de Beethoven et du piano, d’un piano qui ne cesse de se perfectionner, d’étendre son registre et ses nuances, à un moment de l’histoire de la musique où le grandiose, le prisme égocentrique de l’artiste, le volume et la masse sonore deviennent si importants. Vingt-troisième sonate (sur 32) écrite dans la terrestre tonalité de fa mineur (somme toute assez proche du symbolique do mineur beethovenien), esquissée en 1804 et publiée en 1807, elle est contemporaine du 4e concerto pour piano ou de la 5e symphonie. Le surnom «Appassionata» n’est pas de Beethoven, mais d’un éditeur lors d’une édition ultérieure et il semble que Beethoven ne s’y opposa pas.

 

               Le premier mouvement, de la plus pure forme sonate, débute par un thème principal inquiétant et mystérieux, à l’unisson aux deux mains qui déploie tout l’arpège de l’accord de fa mineur. De lourds accords - signés du maître de Bonn - suivent puis quelques notes solitaires dans l’aigu sur un mi bémol répété. Le deuxième thème suit, plus chaleureux et lyrique en la bémol majeur et promis à de larges développements. Et enfin commence réellement cet Allegro: déferlement orchestral passionné et rageur se concluant en la bémol mineur. Là se termine l’exposition, qui n’est pas reprise. Quelques hésitations du premier thème en mi majeur puis c’est l’entrée dans un développement foisonnant d’idées et de variations sur les deux thèmes principaux. Une petite cellule de quatre notes (trois ré bémol, do) est elle aussi développée rappelant irrésistiblement «les coups du destin» martelés du thème principal de la cinquième symphonie. Vient alors la réexposition en fa majeur (prenant par là quelques libertés tonales par rapport aux exigences de la forme sonate). La fin de cette réexposition fait éclater un piano magistral explorant toutes les facettes pathétiques de la tonalité mineure, avec progressions dramatiques vers l’aigu, répétition insatiables du thème (ou de sa tête), arpèges éblouissants et... silence inquiétant, adagio sur les trois notes «du destin ». La coda de ce premier mouvement Più Allegro fait éclater une dernière fois fortissimo des accords lourds puis une dernière citation du thème secondaire en fa mineur aboutit au climax de cette page: rares sont les déferlements de rage et de passion aussi intenses dans l’œuvre pour piano de Beethoven. Mais à notre grande surprise, il ne se termine pas par de grands éclats mais diminue subitement sa nuance jusqu’à pianissisimo (ppp). L’œuvre n’est pas terminée, et il ne laissera achever son éclat qu’à la fin du troisième mouvement.

 

             Le deuxième, quant à lui, Andante con moto calme et chantant procède par élargissement dynamique: une trame harmonique est donnée au départ et viennent ensuite deux variations, la première avec la thème en main gauche et la deuxième inversement dans un mouvement plus rapide. Bref retour à la fin de la «trame» du début.

 

            Et c’est alors que surgit, du silence, tel un éclair d’orage les premiers accords du dernier mouvement écrit en une suite quasi ininterrompue haletante et passionnée de double croches, ponctuée d’accords pesants, répétés. Lorsqu’ils sont dans le registre grave, ils signent le style d’un Beethoven viril, rageur et passionné, si éloigné d’un Chopin plus séduisant et élégant, par exemple. Une idée différente apparaît au milieu entre l’exposition et la réexposition (forme rare dans un dernier mouvement), rapidement oubliée. Ce tourbillon effréné et envoûtant entièrement en mineur (sauf une légère éclaircie dans la réexposition) nous précipite tout droit vers la coda finale, un Presto endiablé qui n’a d’autre issue que de s’achever par des cascades frénétiques d’arpèges et d’accords de fa mineur.