Artikulation

 

Composition électronique de Gyorgy Ligeti (né en 1923)

 

 

I - Généralités

 

   En Allemagne existait depuis les années 1950 le studio de la radio de Cologne dans lequel des expériences de musique purement électronique ont vu le jour: György Ligeti (1923) écrit Artikulation en 1958, Karlheinz Stockhausen (1928) écrit Kontakte en  1960. Ces expériences resteront sans lendemain pour chacun de ces deux compositeurs.

 

* Il s’agit d’une pièce de musique électronique, c’est à dire que tous les sons sont générés par un ordinateur, 

   contrairement aux sons acoustiques. Cela implique une non intervention totale du facteur humain dans l’exécution de l’œuvre. Cela est en soi une révolution.

* L’absence de notes traditionnelles entraîne un rapport  nouveau à la musique: on ne peut parler ici de mélodie ou d’harmonie

* Elle a été composée en 1958 au  Studio für elektronische Musik des Westdeuchen Rundfunks Köln (Studio de   musique électronique de la radio Ouest-allemande de Cologne.  La première audition eut lieu le 25/3/1958

* Enfin si Ligeti délaisse assez tôt le genre de musique électronique, il en aura retiré de nombreux enseignements pour l’élaboration de ses œuvres postérieures.

* L’œuvre est faite sur des bandes magnétiques collées, découpées, recollées: c'est par un montage

 

   «On produit, grâce à un générateur de courant alternatif, des sons purs en formes d’oscillations sinusoïdales que l’on enregistre séparément sur une bande magnétique, puis on découpe les fragments de cette bande aux différents sons et on les colle dans un ordre choisi. (...) On peut ensuite enregistrer le mélange de deux bandes sur une 3e et ainsi de suite. La vitesse de déroulement de la bande étant très rapide (76cm seconde) et les fragments de bande pouvant être très petits (jusqu’à 1 cm), on obtient des sons qui se succèdent à un intervalle de temps inférieur à 1/20 de sonde»         Ligeti, Pierre Michel, Editions Minerve

 

* Il n’y a pas d'influence du passé dans cette œuvre

 

 

II - La partition

 

* Traditionnellement, une partition sert à interpréter une œuvre.  Artikulation ne peut être interprétée puisqu’elle

    est fixée sur un support inamovible: les bandes magnétiques (ou le cd). Toutes les exécutions de cette œuvre  

    seront rigoureusement identiques. La partition ne sert qu’à donner un aperçu graphique de son déroulement.

    Elle a d’ailleurs été dessinée 12 ans après sa composition, en 1970 par Rainer Wehinger.

 

* L’absence d’interprète, c’est à dire de facteur humain intermédiaire entre le compositeur et l’auditeur implique que tous les paramètres de l’œuvre sont complètement contrôlés par le compositeur. Rien ne lui échappe.

 

*  Totalement inédite dans sa conception, dite orale ou visuelle, elle est en couleur, ce qui n'a jamais été vu. Ce nouveau procédé témoigne d'une approche plus directe de la musique, sans avoir besoin du solfège traditionnel, permettant une approche plus démocratique de la musique (il n’y a pas besoin d’avoir pris des cours de solfège pour la lire, tout le monde peut comprendre les grands traits de cette partition). Le fait de mettre en partition cette pièce est une interprétation en soi : on a ici la vision de R.Wehinger qui en est une parmi d’autres. La partition est déjà une analyse de l’œuvre, ce n’est pas l’œuvre.

 

* Les secondes sont indiquées en bas. Elles vont de 0 à 227 soit une durée exacte de 3’47. Elles sont l’unique point de repère temporel objectif de l’œuvre.

 

* Ligeti joue avec l’espace: On observe au dessus des bandes des petits cercles divisés en 4 parties. Chacune de ces parties correspond à chacune des quatre enceintes nécessaires à l’écoute au centre desquelles se trouve l’auditeur (2 sur les côtés , 1 devant, 1 derrière).

 

 

 

 

* On distingue 4 formes de graphes (A, B, C, D):

 

   A: Le bruit (les peignes)  progressif

 

         Ce graphe représente un bruit à 100% lorsqu’il est noir. Plus il tend vers le jaune, plus il se rapproche d’une sinusoïde parfaite (c’est à dire sans bruit du tout, n°6). Les différents paliers correspondent aux filtres:

      n°6: note pure (pas de bruit)          n°5: sont évités les fréquences en dessous de 20Hz

      n°4: sont évitées les tierces            n°3: sont évitées les octaves

      n°2: filtre grossier                          n°1: bruit

 

B: Spectre harmonique et sous-harmonique

 

       Le spectre est un mélange de différentes harmoniques ou hauteurs. Il ne représente pas une hauteur unique bien définie. Plus on va vers le noir, plus le spectre devient du bruit, plus il est vert clair, moins il contient de bruit.

 

 

C: Impulsion non filtrée      Point noir (n°13)

 

 

D: Impulsion filtrée

 

     Ce sont ces sons dont on perçoit le mieux une hauteur déterminée, grave pour le rouge vif (n°14), registre moyen (violet n°15), aigu (bleu n°16)  

 

 

III - Les sons électroniques sont utilisés à deux fins:

 

     a)  Créer des sensations de textures matérielles: humide, spongieux, fibreux, sec, granuleux, éclats ou à des lieux: édifices imaginaires, labyrinthes, ou encore des insectes, des apparitions, des disparitions, etc...

 

      b) Mais surtout à créer une illusion de dialogue entre des personnages imaginaires. On entend des monologues, dialogues et autres disputes polyphoniques, chuchotements, bavardages, sauts d'humeurs impulsives... d'où le nom d' "Artikulation" en référence au langage parlé. Une expérience a d’ailleurs été menée, dans laquelle un groupe d’enfants a pu entendre Artikulation. Après leur avoir demandé ce qu’ils avaient entendu, ils répondirent qu’ils avaient entendu «des gens parler»

 

          «Ligeti cherche ici à créer une conversation imaginaire (...). Le titre indique qu’un langage artificiel est articulé, lequel rappelle souvent à l’audition le langage parlé. (...) le compositeur réussit à intégrer réellement les sons électroniques dans des monologues, des dialogues et à des disputes à plusieurs voix (...). Tous les éléments du langage parlé sont présents: questions, réponses, voix graves et aiguës, interruptions, intensités fortes ou faibles jusqu’au chuchotement, ainsi que différents caractères expressifs dont l’humour n’est pas le moindre»          Ligeti, Pierre Michel, éditions Minerve

 

           Comment y parvient-il ?

            «(...) Ligeti choisit 42 matériaux de base. Opérant (...) par découpage et collage de morceaux de bande magnétique, il adopte ici une technique particulière: les morceaux de bande sont groupés d’après leurs points communs dans différentes boîtes selon un système de répertoire. Le compositeur compare souvent ce système à celui de la casse qui permet au typographe de regrouper les lettres. Ce principe de sélection s’applique dans Artikulation successivement à trois étapes de la réalisation sonore: aux sons, aux mots et aux phrases (...) L’essentiel pour Ligeti est d’agencer les matériaux de telle sorte qu’apparaissent des sons, des syllabes, des mots, des phrases, des textes, des langages, voire des articulations imaginaires. (...) la préoccupation majeure de Ligeti est le mode de combinaison des matériaux, c’est à dire l’aspect syntaxique. Il adopte deux types principaux de combinaisons: un assemblage homogène (les éléments fusionnent, il n’est pas possible de les distinguer les uns des autres) et un assemblage hétérogène (les éléments se repoussent, il est possible de les distinguer».          Ligeti, Pierre Michel, éditions Minerve

 

 

 

 

 

 

 

IV – Brève analyse

 

           Sans parler de forme ABA au sens classique, on a quand même un point fort au centre et une introduction et une conclusion chuchotées.

 

            1 à 30:  majorité d’impulsions filtrées (ronds)     

          30 à 70:  majorité de peignes

 

         70 à 100: majorité de spectres harmoniques

       100 à 157: combinaisons virtuose de tous les éléments juxtaposés

       157 à 202: combinaisons virtuose de tous les éléments sur plusieurs plans sonores

 

       202 à fin: les motifs deviennent de plus en plus courts, bruités et le temps de silence entre chaque élément

                        est de plus en plus long