SCHUMANN Robert
(1810-1956)
Au début du XIXème siècle,
Goethe présage les caractéristiques du romantisme naissant: "Ce caractère admirablement neuf, cette
explosion, ce dédale de désirs et cette tourmente dans la musique, dans la
recherche picturale, dans la philosophie, et dans tous les autres domaines".
Et R.Vermeulen de citer:"Goethe
considère avant tout le romantisme comme une perturbation ‘maladive’ de
l’équilibre ‘classique’ sain". Le romantisme en musique naît de
l’égocentrisme d’un individu dont les passions personnelles constituent le
fleuve débridé qui donne naissance à l’œuvre. Une œuvre n’est plus simplement
belle en soi, mais projette les aspirations exacerbées d’un seul individu. Et une
question se pose: le romantisme musical est-il "pur", dégagée de
toutes images littéraires ou picturales ?
C’est ce que donnerait à penser cette citation d’Hoffmann: "Quiconque parle de la musique en tant que
forme artistique autonome s’en réfère toujours exclusivement à la musique
instrumentale qui, refusant toute aide, toute intrusion d’une autre forme
artistique, exprime l’essence même de l’art. Cette musique constitue
l’expression la plus romantique de tous les arts, pour peu, je dirais même
qu’elle seule offre un romantisme à l’état pur" (Critique de la 5ème
symphonie de Beethoven). D’un autre côté la musique de Schumann trouve son
inspiration dans le Verbe. Et si elle s’en passe pour exister, c’est qu’elle
est elle même Verbe: "Les œuvres de
Schumann sont la traduction musicale des poèmes qu’ils n’a jamais écrits"
(H.Halbreich). Si Chopin composait de la musique pure la plupart du temps sans référence littéraire, si les œuvres
de Liszt étaient marquées par une patte virtuose évidente, c’est un sentiment
poétique qui inspire à Schumann sa musique. Avant d’être compositeur, Schumann
rêvait d’être écrivain, il sera excellent critique musical. Il rêvait d’être un
grand virtuose: sa malheureuse idée de se brider le 4ème doigt de la
main droite lui ôta cette espérance. Si on avait perdu un virtuose parmi
d’autres, on avait gagné un compositeur de génie.
Vers la fin des années 1830,
Schumann est en pleine effervescence créatrice: la magnifique Fantaisie (1836), les Phantasiestücke (1837) s’inscrivent en droite
ligne de ces Kreisleriana à venir,
datées de 1838 exactement, c’est une période pendant laquelle les amants
Schumann doivent encore se cacher du père de sa future promise, Clara Wieck.
Dans une lettre de 1843, Schumann tenait lui-même ces Kreisleriana comme une de ses meilleures œuvres; le 3 Mai 1838, il
écrit dans son journal "J’ai passé
trois journées magnifiques dans l’attente d’une lettre. Et ensuite, j’ai
composé Kreisleriana en quatre jours; de tous nouveaux univers se sont ouverts
à moi".
Kreisler est un personnage
d’un roman d’E.T.A Hoffmann, Kater Murr (le
chat Murr). C’est un Kapellmeister
excentrique irascible et original qui, perturbé par l’odeur des œillets, se met
à délirer et croit entendre un cor de basset. Plus tard, lors d’un accès de
folie, il veut se suicider en se poignardant à l’aide d’une quinte juste dans
la forêt. Il achète un vêtement dont la couleur est en do dièse mineur sur
lequel on place un col de couleur mi majeur pour calmer les spectateurs... Les
huit fantaisies que constituent les Kreisleriana sont toutes adaptées à
l’univers délirant et fantastique de Schumann. Dans une lettre à Clara Wieck,
sa future épouse, il en parle en ces termes: "simple et en droite ligne du cœur (...). Une musique étrange, folle et
même solennelle".
C’est à travers ce monde
fantastique que Schumman s’affranchit du sacro-saint modèle Beethovenien de la
forme sonate. Un tel cadre formel presque dictatorial ne pouvait plus contenir
l’évocation débridée de ce personnage d’Hoffmann. Il semble même que la
perception du temps soit bien moins continue et lisse dans ces fantaisies que
dans l’empreinte beethovenienne. "La
forme [sonate] a parcouru son cycle
de vie... mais nous ne devons pas répéter éternellement la même chose ;
nous devons également nous tourner vers de nouveaux horizons. En conséquence,
que l’on écrive des sonates ou des fantaisies (le nom qu’on leur attribue n’a aucune importance !), mais surtout que l’on
n’oublie pas la musique" écrit Schumann.
La
première pièce (extrêmement agité, ré
mineur) offre un bouillonnant discours fiévreux apaisé par une superbe partie
centrale. Plus développée, la deuxième pièce (Très intime et pas trop rapide, si bémol majeur) comporte un thème
récurrent entrecoupé de deux Intermezzi.
Celui-ci, généreux, est entrelacé de mouvements contraires, de lentes et
magnifiques lignes contrapuntiques dignes d’un quatuor à cordes; les deux Intermezzi contrastent par leur vivacité
ténébreuse. La troisième pièce (Très
agité, sol mineur), comporte le même profil que la première; une
magnifique partie centrale très chantante est entourée de triolets colériques
et inquiétants. La quatrième (Très lente,
si bémol), est un récitatif murmuré parfois inquiet. Celui s’achève sur un
point d’orgue en suspension suivi d’un épisode rassurant, mélodiquement stable.
La cinquième (Très vif, sol mineur)
nous replonge dans l’univers fantasque et bondissant du second mouvement de