Œuvre de référence : Vltava (La Moldau) de Bedrich Smetana (1824-1884)

 

 

Bedrich Smetana (1824-1884) vécut à Prague la plupart de sa vie, à part quelques années en Suède. Il sait rencontrer les grandes figures de son époque (Schumann, Liszt, Berlioz) mais n'en reste pas moins un personnage attaché à représenter à travers son art la culture de son pays, la Tchécoslovaquie. Il compose huit opéras, de la musique de chambre et des poèmes symphoniques.  La vie et l’œuvre de Smetana sont liés aux mouvements nationaux qui s'épanouirent en Tchécoslovaquie.  En 1856, ses prises de positions l'obligent à s'exiler en Suède. Il décide de composer un répertoire lyrique  authentiquement national :  "Les brandebourgeois en bohème" ou encore "La fiancée vendue": l’action se passe dans un village, les thèmes et rythmes sont d'inspiration folkloriques. Smetana est atteint par la surdité à la fin de sa vie, devenu torturé par  "le grondement presque ininterrompu de mon intérieur qui rugit dans ma tête set s’accroît de temps en temps jusqu'à un éclatement tempétueux. Ce retentissement est parsemé par des voix aiguës qui s'élèvent avec un faux sifflement et s'accumulent jusqu'à un hurlement terrible comme si des furies et tous les mauvais esprits m’assainissaient. Dans ce bruit infernal se mélangent la sonnerie des trompettes désaccordées et des autres instruments en étouffant ma propre musique qui résonnait ou résonne en moi".

 

 

* La musique de Smetana n'est pas révolutionnaire ni avant-gardiste. Son lyrisme orchestral n'apporte aucune rupture par rapport à son époque, et ne pose aucun jalon sur l'avenir. Elle est l'expression contemporaine portée par l'idée de glorifier et mettre en valeur la culture de son pays.

 

* Ecrit à la fin de sa vie en 1874, le cycle "Ma Vlast" (Ma patrie) se compose de six poèmes symphoniques attachés à décrire la nature («La Moldau », «Par les prés et les bois de Bohème») et la culture tchèques représentée par des événements, des lieux ou des personnages historiques: Vysehrad ("la forteresse haute").

 

* Universellement connue, la Moldau (2e pièce du cycle Ma Patrie) est un poème symphonique décrivant le cours d'un fleuve du même nom. Moldau est le nom germanique, "Vltava" est le nom tchèque. Cette rivière coule au sud du pays et rejoint Prague, la capitale. Dans le contexte de l'éveil des nationalismes européens à la fin du XIXe, "Smetana donne à la rivière tchèque une importance comparable à celle du Rhin pour les allemands ou du Danube pour les Austro-Hongrois" (André Lischké)

 

* Glorifier son pays, c'est la mission que s'est donnée Smetana. Pour cela, rien de tel qu'un beau thème, simple, facilement chantable et mémorisable, de façon à ce qu'il atteigne le plus grand nombre et ainsi assurer sa popularité. Smetana est donc tout le contraire d'un compositeur moderne et visionnaire recherchant l'originalité et un style nouveau. L'intérêt de son œuvre réside ailleurs, dans la parfaite maîtrise de l'orchestre et dans sa capacité à lui faire décrire des climats et des paysages.

 

* Il s'agit d'un poème symphonique. On se situe dans le cadre d'une musique à programme, d’une musique descriptive, à l'opposé de la musique pure, celle qui n'a pas vocation à illustrer quoi que ce soit.

 

* Sur le plan de la forme, il n'y a donc pas lieu d'y rechercher une forme instrumentale fixe (forme sonate par exemple). Les différentes étapes de la partition correspondent aux différents tableaux de l'évolution du fleuve, de sa naissance à son arrivée triomphale à Prague. Si le thème principal se retrouve à plusieurs reprises au cours de la pièce, ce n'est pas en vertu d'une forme pré-établie.

 

* Un grand orchestre symphonique est requis (1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes en do, 4 cors en do, 2 trompettes en do, 3 trombones, 1 tuba, timbales, triangle, grosse caisse, cymbales, harpe, quintette à cordes). Smetana puisera dans les ressources et possibilités innombrables d'un tel orchestre pour passer en revue tous les tableaux: Après la naissance du fleuve jusqu’à son évocation par le thème principal, suit une scène de chasse à courre et de danse paysanne. Puis à la lueur d'une lune argentée, des nymphes d'eau dansent leurs rondes, des châteaux forts fiers, des châteaux et des ruines vénérables incrustées dans les rochers sauvages passent. La Vltava écume et traverse les chutes vers St Jean, coule majestueusement vers Prague, le château Vysehrad se dresse sur la rive. La Vltava suit son cours (...) puis disparaît dans l'Elbe.

 

 

Parcours de l’œuvre: de tonalité générale de mi mineur, l’œuvre décrit plusieurs tableaux:

 

1)       Pages 1 à 5 (mi m) [Mes 1 à 40]: une introduction dans laquelle une flûte puis 2, puis 1 clarinette, puis 2 proposent un motif volubile et tournoyant (à cause du rythme ternaire) évoquant la naissance du fleuve.

2)       Pages 5 à 18 (mi m) [Mes 40 à 80]: le thème principal fait son apparition page 5, alors que les cordes conservent le mouvement volubile précédent des bois. Ce thème comporte une courbe mélodique ascendante, puis descendante.

3)       Pages 19 à 30 (do M, modulant) [Mes 80 à 122]: le mouvement volubile des cordes est conservé alors que les cors résonnent fortement en évoquant une chasse à courre. C’est une scène de chasse dans la forêt. Dans toute cette partie les trombones et le tuba ont aussi leur importance (les cuivres).

4)       Pages 31 à 41 (sol M) [Mes 123 à 181]: cette partie tranche avec la précédente par l’abandon du rythme tournoyant du fleuve pour une danse paysanne simple au rythme binaire et identique pour presque tous les pupitres. Remarquer les phrasés de deux en deux.

5)       Pages 41 à 61 (Lab M) [Mes 182 à 238]: La nuit est tombée sur le fleuve: c’est le temps du silence et des créatures surnaturelles: les nymphes d’eau dansent leurs rondes. La nuit est illuminée d’un clair de lune «Mondschein». Le thème de la nuit et du clair de lune sont des images tout à fait romantiques (voir la sonate dite «au clair de lune» de Beethoven). Dans cette partie, les deux flûtes et les deux clarinettes reprennent le motif volubile du tout début afin de garder l’idée du mouvement du fleuve, alors que les cordes chantent un thème lent et très lyrique, ponctué par des traits de harpe. Page 51 [Mes 213] et suivantes, les cuivres se font entendre discrètement: c’est un écho à la scène de chasse précédente. Tout comme les flûtes et clarinettes avaient introduit le thème au début, elles font de même ici dans ce qu’on pourrait appeler la ré-exposition (bien qu’il ne s’agisse pas du tout d’une forme sonate).

6)       Pages 61 à 70 (mi m) [Mes 239 à 270]: on retrouve le thème principal, écourté.

7)       Pages 70 à 86 (modulant) [Mes 271 à 332]: le fleuve traverse les cascades St Jean. Les chocs violents que subit le fleuve sont rendus par l’extrême densité orchestrale: fusées montantes des cordes, martèlement des cors, un pupitre de cuivres très présent, des dialogues rythmiques très denses jusqu’à leur apogée page 85 [Mes 323]. Après un calme soudain (page 86) [Mes 326 et ss], c’est la dernière partie:

8)       Pages 87 à la fin (mi M) [Mes 333 à fin]: Dans une grande unité rythmique l’orchestre entier (et non plus uniquement les violons comme avant) reprend le thème principal (en majeur cette fois) dans un mouvement brillant et glorieux, marquant l’arrivée du fleuve dans la capitale: Prague. Page 91 [Mes 359] on trouve le thème du VysehradLa forteresse», qui est le premier poème symphonique du cycle «Ma Patrie»), le fleuve passe en effet à côté de ce château aux abords de Prague. Enfin c’est le tutti final: homorythmie, insistance sur l’accord de mi majeur, nuance fff. Page 101 [Mes 404] le mouvement se calme: le fleuve se disperse, avant que les deux accords conclusifs n’achèvent définitivement la pièce.