Ionisation d’Edgar Varèse (1883-1965), composé en 1931

 

 

Généralités

 

                « C’est au fond lui qui, il y a un très grand nombre d’années, a prévu les musiques concrètes et les musiques électroniques, et cela non seulement par des orchestrations extraordinaires, et une façon distendue de traiter les instruments, mais aussi par des choses qui étaient absolument impensables à l’époque où il les a pensées, c’est à dire, par exemple, des sons passés à l’envers, comme on en trouve dans Intégrales, où les trombones font des attaques piano suivies d’un sforzando, qui sont évidemment des sons rétrogradés. Cette espèce de question donnée aux sons, cette espèce d’introduction du domaine de la microphysique en musique, c’était la préparation évidente de l’électronisme, mais à l’époque personne ne l’a compris, que Varèse seul. »  (Messiaen)

 

« Toutes les voies nouvelles nous sont ouvertes par les possibilités actuelles: perfectionnements électriques, ondes, etc... (...) Le système tempéré actuel me paraît périmé. Il est insuffisant pour exprimer musicalement nos émotions ou nos conceptions (...). Avec le système tempéré, nous sommes astreints à des règles arbitraires, tandis que de nouveaux moyens nous offrent une spéculation illimitée sur les lois de l’acoustique et de la logique » Varèse en 1930 (soit un an avant Ionisation)

 

 

* Varèse est réellement un précurseur dans la mesure où il est l’un des rares compositeurs à avoir pensé le son avant la note, il le dit lui-même: «La musique est faite de sons et non de notes». Le résultat final compte plus que la qualité de l’écriture.

 

 

 

 

Ionisation

 

* Varèse est français mais passe la plus grande partie de son existence à New-York. Il y compose ses œuvres les plus connues: Offrandes (1922), Hyperprism (1923), Intégrales (1925), Amériques (1926). Mais il compose Ionisation à Paris en 1931. L’œuvre, extrêmement originale, est très mal accueillie et le pousse à  retourner à New-York.

 

* Le mot «ionisation» signifie la dissociation des électrons du noyau de l’atome et de leur transformation en ions. Cette image représente tout à fait la très grande énergie de la partition dans un univers infinitésimal.

 

* Il s’agit d’une œuvre pour une quarantaine de percussions jouées par 13 instrumentistes. Il y a majoritairement des instruments à intonations indéterminées (percussions) et quelques instruments à intonations variables (deux sirènes). Varèse veut montrer la richesse  et la variété extraordinaires de timbres qu’il est possible d’obtenir d’un tel ensemble. Voici les grandes familles d’instruments utilisés:

 

1) Membranes réverbantes: tambours de différentes tailles, grosses caisses

2) Instruments de résonance ligneuse: blocs chinois, claves

3) Instruments à friction: guiros, tambour à corde

4) Sonorités métalliques: triangle, cymbales, enclumes, cloches tubulaires, glockenspiel

5) Instruments qu’on agite: maracas, tambour basque

6) Autres: les sirènes, aux effets glissando et les tone clusters du piano aux effets de cloche

 

 

* Il va de soi qu’il n’y a pas de pulsation régulière: si l’écriture se fait de au moyen d’un solfège classique (barres de mesure, valeurs de notes conventionelles (noires, croches...)), la perception d’une régularité est illusoire, sans cesse cassée par des changement de mesure (fin de page 12 ou 13), d’interruptions intempestives et de cassures de toute sorte. Varèse veut alterner et varier des cellules rythmiques grâce à une écriture très complexe.

 

* Il n’y a pas d’effets de masse, au contraire, chaque instrument est mis en valeur dans un esprit de dispersion, d’où l’image des ions.

 

 

PLAN:     Même s’il n’y a pas de mélodies au sens classique, on parlera de thème comme thème rythmique.

 

Chiffre 1 à 7  de 0’00 à 2’22    Introduction et constance du thème au tambour militaire

0’00 à 0’31: introduction nuance piano

0’31: thème au tambour militaire (chiffre 1)

0’48: tambour à corde puis sirène  (chiffre 2)

1’03: thème au tambour militaire (chiffre 4)

 

Chiffre 7 à 9  de 2’22 à 3’05   Grande partie à la nuance forte plutôt centrée sur les instruments au registre grave

2’40: écriture homorythmique (chiffre 8)

 

Chiffre 9 à 13  de 3’05 à 4’33     Instruments métalliques

3’05: prépondérance des instruments métalliques: triangle, cymbale et enclumes et sirènes (chiffre 9)

3’54: après un passage complexe, un point d’orgue marque un repos (chiffre 12)

4’20: nouveau point marquant par une subite nuance pianissimo à la tarole (1ère mesure de la page 25)

 

Chiffre 13 à   de 4’33 à la fin

4’33: un grand coup de tam-tam marque le début de la partie finale. Apparaissent alors

- les accords très chargés du Glockenspiel

- les tone clusters (voir plus haut) du piano. Un grand nombre de notes dans le grave donne l’illusion d’un

           son de cloche.

 

L ‘œuvre se termine sur la résonance métallique du piano et du tam-tam, par opposition au début où était privilégiée la sonorité plus sèche des percussions seules.